Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/749

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à nos yeux est inconstitutionnel parce qu’il viole le principe de la division des pouvoirs, ce sont les empiétemens du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif à l’origine même de celui-ci. Ainsi, à la pratique, aux yeux de tous, le choix même des candidats que l’administration patronne équivaut à l’octroi de la députation. M. Isaac Pereire a pu dire de bonne foi, sans cependant réussir à faire valider son élection dans la circonscription qu’il avait préférée, dans les Pyrénées-Orientales, mais aussi sans s’attirer un démenti officiel, que l’administration lui avait offert cinq ou six autres collèges, Comment le candidat du préfet ne se tiendrait-il pas pour élu d’avance lorsque toutes les forces de l’administration sont mises au service de sa candidature? Le premier effet de l’immixtion active, universelle et persévérante des préfets, c’est de changer les conditions naturelles du débat électoral : la lutte n’est plus entre deux candidats ; le candidat administratif s’effaçant, elle est entre le préfet et te candidat de l’opposition. C’est le préfet ou le sous-préfet qui prend le candidat de l’opposition corps à corps, qui répond aux professions de foi de celui-ci par des affiches, qui entre en polémique réglée avec lui, qui le suit pas à pas dans ses tournées, qui le fait observer, qui traverse toutes ses démarches, qui emploie contre lui toute la vigilance et toute l’activité des agens de l’administration. Cette lutte étrange engageant tant de subalternes naturellement ignorans et passionnés, les lois positives sont exposées de la part de ces subalternes à de nombreuses et choquantes transgressions. La notion de la loi tend à s’altérer dans l’ensemble de l’administration. En haut par exemple, on prend envers la loi cette licence de s’affranchir de l’exécution littérale de celles de ses dispositions que l’on qualifie de réglementaires; ainsi, dans une multitude de sections, on avance l’heure de l’ouverture des scrutins, quoique cette heure soit fixée par la loi, et qu’une anticipation arbitraire change toutes les conditions d’impartialité que la loi a voulu établir pour la formation des bureaux. Plus bas, les subalternes, agens municipaux, gardes champêtres, déchirent les affiches de l’opposition et répandent naïvement, comme dans l’élection de M. de Jaucourt, des calomnies grossières contre le candidat que l’administration repousse. Un procureur impérial se croit permis d’arrêter le cours de la justice et d’interdire à un huissier la communication d’un acte extra-judiciaire. L’administration assure son influence non-seulement par sa pression, mais par ses faveurs, comme on l’a pu voir en Seine-et-Marne, dans l’Isère et ailleurs. jusqu’à présent, si quelques détails du système sont désavoués dans leurs excès, dans ses traits généraux il est hautement défendu par les commissaires du gouvernement. Parmi ceux-ci, il n’en est encore qu’un seul qui ait révélé un remarquable talent de discussion : c’est M. Thuillier, et sa plus grande habileté a été d’adresser à l’opposition le plus inattendu et le plus surprenant des reproches, celui d’avoir exercé de l’intimidation sur les électeurs. Le fait général qui ressort de cette enquête, à laquelle le pays prend un vif intérêt et dont il fera sûrement son profit, c’est l’intervention