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que faisaient-ils, sinon pratiquer à leur manière, sinon paraphraser la doctrine professée par le Corrège et enchérir sur ses exemples ? Les moyens d’expression et le talent avaient bien dégénéré, il est vrai. Dans les fresques de Parme, les audaces du style, la bizarrerie même de certaines apparences procèdent d’une imagination aussi sincère que puissante ; on y sent, bien que sous des formes parfois tourmentées, des inspirations faciles, une abondance involontaire, naturelle jusque dans l’exagération. Les fresques de la cathédrale de Florence, au contraire, semblent le produit d’une extravagance calculée, de je ne sais quels laborieux efforts pour simuler les emportemens de la pensée et de la main. Ce serait donc faire injure aux nobles œuvres du Corrège que de les confondre avec ces emphatiques travaux dont les contemporains d’ailleurs ne paraissent pas avoir été les dupes plus que nous-mêmes, et qu’un poète de l’époque, le fondateur de l’académie de la Crusca, proposait tout uniment de recouvrir de badigeon[1] ; mais, sauf l’immense différence entre les résultats, le principe qu’avait adopté le Corrège est aussi l’élément décoratif employé par Zuccaro comme par Vasari. D’autres imitateurs survinrent qui achevèrent de populariser cette méthode et de lui donner force de loi. La peinture des coupoles ne fut dès lors en Italie que l’occasion de figurer le désordre, une sorte de tempête de lignes et de tons. On ne représenta plus les anges et les bienheureux que déformés à plaisir en vertu de la perspective curieuse, se culbutant les uns les autres et tournoyant pêle-mêle dans l’espace, comme ces damnés dont par le Dante que tourmente « sans trêve l’ouragan infernal ; » si bien que lorsque de nos jours M. Benvenuti eut achevé les médiocres peintures qu’abrite le dôme de San-Lorenzo à Florence, on dut, à défaut d’autres mérites, lui savoir gré de sa réserve, et qu’il parut presque avoir fait acte de réformateur parce qu’il s’était simplement abstenu de la turbulence pittoresque et des violences accoutumées.

En France, l’influence du Corrège et de ses imitateurs ne fut pas d’abord aussi absolue, ni l’entraînement aussi général. Dès les premières années du XVIIe siècle, il est vrai, Martin Fréminet avait fait de son mieux pour convertir notre école au culte de la manière italienne, pour lui inspirer le goût des raccourcis à outrance, des lignes entortillées, de tous ces problèmes pittoresques dont les voûtes de la chapelle de Fontainebleau exposent intrépidement les formules plutôt qu’elles n’en déterminent la solution ; mais auprès du plus grand nombre Martin Fréminet avait heureusement perdu ses peines, ou si, comme au temps du Primatice, on s’était un moment

  1. « Ne nous lassons pas de gémir, dit Grazzini dans un de ses petits poèmes satiriques, tant que le jour ne sera pas venu où le blanc aura fait justice de ces peintures qui gâtent, aux yeux du peuple florentin, la coupole de Brunelleschi. »