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maître en matière de coloris. Eugène Delacroix professait une haute estime pour l’œuvre de Lafosse, et nous l’entendions un jour déclarer que beaucoup de peintures bien autrement célèbres n’avaient pas autant que celle-là la vertu d’exhorter, de secourir son propre talent. À l’époque où il parlait ainsi, Delacroix travaillait à la décoration de la coupole qui s’élève au centre de la bibliothèque, dans le palais du Luxembourg. Si différens que soient les sujets traités par les deux artistes, peut-être ne serait-il pas impossible de reconnaître dans l’œuvre du peintre moderne les traces de cette influence qu’il s’honorait de subir. Toute proportion gardée entre les ressources limitées de la fresque et l’étendue des moyens dont la peinture à l’huile permet de disposer, peut-être retrouverait-on un souvenir de la méthode pratiquée par Lafosse dans le choix et l’enchaînement de certains tons, dans ce qu’on pourrait appeler l’échelle harmonique des couleurs qu’a employées Delacroix.

Quoi qu’il en soit de cette analogie, les peintures du dôme des Invalides ont par elles-mêmes une importance dont il serait d’autant plus injuste de faire bon marché qu’elles ne se recommandent pas seulement par la franchise et par la souplesse du coloris. L’ampleur de l’ordonnance dans la scène qui orne le faîte de la coupole et qui représente Saint Louis déposant sa couronne et son épée entre les mains de Jésus-Christ et de la sainte Vierge, — le goût judicieux avec lequel les divisions de l’architecture sont respectées dans la partie du dôme dont les ornemens correspondent aux arêtes qui semblent, à l’extérieur, en agrafer la courbe au pied de la lanterne, — tout accuse chez le peintre une aptitude particulière à concilier avec les franchises du pinceau les devoirs imposés par la forme et les caractères du champ qui lui est dévolu. Tout exprime la volonté de ne percer les voûtes qu’à des intervalles symétriques, sur des points déterminés par l’ossature même de l’édifice, et sans que celui-ci semble s’écrouler pour faire place à une image capricieuse de ce qu’on suppose se passer au dehors : mérite rare, nous l’avons vu, dans les œuvres de cette sorte, et que depuis le Corrège jusqu’à Mignard peu d’artistes avaient eu, ou que même ils avaient cherché à avoir.

Les peintures du dôme des Invalides furent achevées en 1705, sous les yeux du duc d’Orléans, qui, suivant le témoignage d’un contemporain[1], ne dédaignait pas, vers la fin du travail, de « monter sur l’échafaud de cette coupole pour regarder peindre M. de Lafosse et voir par lui-même la manufacture des couleurs à fresque. »

  1. Mémoires sur la vie et les ouvrages des membres de l’Académie royale de Peinture, tome II, p. 4.