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larmes, permettez-moi de vous aimer comme il convient à un homme d’honneur. Le ciel m’a été déjà bien propice en vous mettant sur ma route. Je vous aime, je vous adore comme un souvenir vivant qui me rajeunit et me réconforte après tant d’années de malheur. Laissez-moi cultiver votre belle intelligence et y verser quelques rayons de l’idéal que je porte en moi et qui est ma seule fortune. Vous voir, vous entendre, vous contempler dans la grâce que vous répandez autour de vous,… c’est mon suprême bonheur. L’amour, ma chère Frédérique, est une passion grande et généreuse qui se suffit à elle-même, qui échauffe l’âme et dilate l’esprit le plus médiocre. On ne vit qu’en aimant, et sans l’amour tout est ténèbres dans la vie. Soyez ma lumière nouvelle, mon étoile du soir dont le scintillement lointain réjouira mes yeux et mon cœur. Je vous suivrai, je vous aimerai, je vous invoquerai comme une muse indulgente et bénigne qui veut bien avoir pitié d’un pauvre fou comme moi.

En prononçant ces dernières paroles, le chevalier Sarti pleurait. Profondément émue aussi, Frédérique se jeta précipitamment aux pieds de Lorenzo en s’écriant : Oh ! mon Dieu ! je ne suis pas digne du bonheur que vous m’accordez ce soir, et dont le souvenir restera éternellement gravé dans mon cœur.

Après quelques minutes d’un éloquent silence, le chevalier releva la jeune fille et lui dit avec plus de calme : Oui, gardons le souvenir de cette soirée où nos âmes se sont trahies et révélées l’une à l’autre. Elle sera pour moi la date commémorative du plus beau jour de ma vie.

— Est-ce de la journée de Murano que vous voulez parler ?

— Oui, chère Frédérique, de la journée passée à l’île de Murano avec Beata, dont vous me rappelez l’image et la dolce maesta ! Mon cœur me dit que la noble fille de Venise approuve l’affection tendre et pure que vous m’inspirez, et que du haut du ciel elle sourit au vœu secret que je forme de renouveler ma vie en vous aimant comme une fleur dont il me sera permis au moins de respirer le parfum… Qui sait, ma chère Frédérique, continua le chevalier en écartant du front de la jeune personne quelques mèches de cheveux qui s’étaient dérangées, qui sait si Dieu, qui est la justice suprême unie à la toute-puissance, n’a point transformé l’âme immortelle de Beata en l’une de ces étoiles d’or qui ornent la voûte des cieux, et que nous voyons briller au-dessus de nos têtes ? Je me plais à ces imaginations charmantes de la poésie primitive qui donnent une âme à la nature, qui peuplent l’univers d’êtres chéris et nous protègent de l’amour qu’ils ont eu pour nous dans la vie si courte de ce monde. La science a prouvé de nos jours qu’il existe des étoiles errantes qui,