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de colonisation mis en œuvre de nos jours un théâtre sur lequel ils sont à même de se produire dans les conditions les plus propres à faciliter une comparaison équitable. À une époque où, grâce aux progrès de la science économique, toutes les doctrines coloniales sont en voie de métamorphose, cette comparaison ne saurait être inopportune, et le résultat, on va le voir, n’a rien de décourageant pour nous.


I

Aller aux îles !… c’était jadis l’expression consacrée, et Dieu sait le monde fantastique que nos candides aïeux se représentaient au terme du voyage. Le paisible marchand du vieux Paris, qui du fond de son arrière-boutique voyait les riches produits d’outre-mer couvrir ses rayons enfumés, ne songeait pas sans une terreur peut-être secrètement mêlée d’envie aux étranges récits qui circulaient sur ces pays lointains : c’était le péril incessamment bravé, les merveilles de climats inconnus, la fortune pour qui triomphait de ces épreuves ; c’était par-dessus tout la fastueuse existence au sein de laquelle le planteur créole apparaissait comme le héros d’un conte de fées. Alors le luxe des colonies était sans bornes ; pour elles, la métropole tissait ses étoffes les plus précieuses, ciselait ses bijoux les plus exquis, et dans la petite ville de Saint-Pierre-Martinique, surnommée le Paris des Antilles, l’opulence ne se mesurait qu’à la prodigalité. Cette brillante auréole a singulièrement pâli. La vapeur a si bien supprimé le prestige de l’éloignement, que cette terrible traversée, dont un testament était la préface obligatoire, n’est plus désormais qu’une promenade de douze jours en été, de quinze en hiver. On ne va plus guère chercher fortune aux îles, et quant à envier le sort des colons, c’est ce dont assurément nul ne s’avise. Pauvres îles ! elles ne sont pourtant aujourd’hui ni moins fécondes en promesses d’avenir, ni moins richement parées de leur éternelle verdure qu’aux plus beaux jours du siècle dernier. Elles sont encore prêtes à faire, quand nous le voudrons bien, la fortune de qui attachera son sort au leur ; c’est nous qui avons changé, non pas elles, et il y a plus que de l’injustice à les rendre responsables des mésaventures économiques dont nous nous sommes volontairement faits les victimes. Est-ce leur faute si, après les avoir enfermées deux siècles dans les serres chaudes de la protection, nous les avons brusquement transportées au grand air, en nous bornant à leur donner pour médecin soit une émigration coûteuse, soit un crédit foncier un peu trop illusoire, soit toute autre mesure aussi incomplète ? Puis, lorsqu’à chaque nouveau topique les doléances recommençaient, on en concluait qu’il est dans la nature créole de se plaindre, et l’on ne