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« Disparus, disparus à jamais, avec la mitre et la couronne, avec le Bélial de la cour et le Mammon du pape. Il y a des lamentations dans les halls d’Oxford, il y a des gémissemens dans les stalles de Durham.

« Le jésuite se frappe la poitrine, l’évêque déchire sa chape, et l’homme des sept collines tremble en sentant le tranchant de l’épée du peuple anglais. »

Cette ballade parut dans un Magazine vers 1824 ; elle était attribuée à Obadiah Bind-your-kings-in-chains-and-your-nobles-in-links-of-iron (qui enchaîne les rois et les nobles), sergent dans le régiment d’Ireton. Ce long sobriquet puritain cachait le nom du jeune Macaulay qui préludait par la poésie à ses beaux travaux historiques, et projetait une série de chansons des guerres civiles. Il n’en a paru que ce curieux spécimen, et nous n’avons pu résister à la tentation de faire connaître un morceau qui n’a été, que nous sachions, ni traduit en français, ni même reproduit en Angleterre dans les œuvres complètes de l’auteur.

Si les républicains ne courtisaient guère la muse de la chanson, ou la traitaient rudement à leur manière, en revanche les cavaliers, hommes de savoir et de mœurs élégantes, charmèrent par un grand nombre de poésies gracieuses les ennuis de l’exil ou de la captivité. On y retrouve bien ce courage insouciant et cette ironie de grand seigneur qui caractérisèrent ce parti à diverses époques. Voici une de ces chansons, conservée par David Loyd dans ses Mémoires sur ceux qui ont souffert pour la cause de Charles Ier. Il l’attribue à un personnage de haut rang prisonnier du parlement, sir Robert l’Estrange suivant les uns, ou plutôt le colonel Lovelace d’après l’opinion la plus accréditée.


« Ils appellent cela un cachot !… Pour moi, c’est un cabinet. Une bonne conscience est mon bail, et l’innocence me tient lieu de liberté. Les verrous, les barreaux, la solitude, tout cela fait un anachorète aussi bien qu’un prisonnier…

« Ces menottes, je me figure que c’est un bracelet donné par ma maîtresse ; si j’ai les fers aux pieds, c’est pour me les tenir chauds.

« On me tient renfermé, mais n’en fait-on pas autant de toutes les choses précieuses ? Le Grand-Mogol et le pape sont tenus à distance du vulgaire. La réclusion est un des caractères de la grandeur.

« Triste séjour après tout ; mais quand mon prince est dans les larmes, la joie serait une trahison. Si je manquais de patience, il est là pour m’en donner des leçons.

« N’avez-vous jamais entendu le rossignol chanter dans une cage ? Ses accens mélodieux vous disent assez qu’il voit un arbre dans chaque barreau, que la cage elle-même est pour lui un bosquet.

« Mon esprit est libre comme l’air qui m’entoure. La rébellion peut bien enchaîner mon corps, mais il n’appartient qu’à mon roi de captiver mon âme. »