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part à ce mémorable concours. Parmi ces cent soixante-treize architectes figuraient neuf anciens pensionnaires de l’Académie de Rome et quelques-uns des ennemis les plus célèbres ou les plus acharnés de l’école. Rien de plus loyal, de plus libéral qu’une telle lutte ; elle excita l’attention et les applaudissemens de tout Paris, elle servit d’exemple à beaucoup de villes de province qui voulaient faire élever des monumens ; ses vicissitudes et ses résultats méritent d’être rappelés. Le jury, composé exclusivement d’architectes, commença par choisir seize projets, les meilleurs, qui furent réservés pour un dernier examen. Sur les seize projets réservés, dont aucun n’était signé, on sut bientôt que huit avaient été conçus par d’anciens pensionnaires. C’était là un insigne triomphe, puisque sur cent soixante-quatre artistes étrangers à l’école de Rome huit seulement avaient obtenu un des seize premiers rangs, tandis que, sur neuf concurrens sortis de la villa Médicis, tous, sauf un, avaient mérité d’être choisis. On n’a point oublié que cinq prix ou mentions avaient été proposés aux cinq projets qui seraient classés les premiers. Les architectes de Rome obtinrent quatre de ces récompenses, et lorsque les vainqueurs eurent été invités à une lutte nouvelle, lorsque après deux mois de travail, de corrections, de développemens, ils rapportèrent aux juges leurs cinq projets, M. Garnier fut proclame à l’unanimité le plus digne de construire le futur Opéra : beau spectacle, plein de moralité, qui rappelait les nobles débats de l’ancienne Grèce, et qui aurait dû réduire au silence les détracteurs de l’école de Rome !

Enfin il importe de citer, parmi les titres qui recommandent les architectes romains à l’estime de leurs contemporains, cette admirable série de restaurations graphiques que le public peut consulter aujourd’hui à la bibliothèque de l’École des Beaux-Arts. Tous les monumens anciens de Rome, de l’Italie jusqu’à Pæstum, la plupart des temples de la Sicile, de l’Attique et même du Péloponèse, ont été mesurés, cotés, dessinés, restitués avec leur plan, leur coupe, leur élévation, leurs détails, leurs sculptures, leur décoration peinte. Cinquante volumes d’un format gigantesque contiennent ces magnifiques dessins, où les savans puisent la certitude et la lumière, où les artistes cherchent des modèles incomparables et des inspirations. Le jour où le gouvernement français voudra publier de tels travaux avec les mémoires justificatifs qui les accompagnent, il aura élevé un monument scientifique qui commandera l’admiration de l’Europe entière.