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abordant notre aventurier au milieu d’une fête publique, lui remet un message de Baldassare Calvo. Ce malheureux l’a tracé d’une main furtive, et, par l’entremise charitable d’un pèlerin, l’a fait remettre au missionnaire dans la vague espérance que ce cri de rescousse arrivera ainsi jusqu’aux oreilles de son fils adoptif. C’est de Corinthe que le billet est daté ; il annonce le départ pour Antioche de l’infortuné vieillard réduit en esclavage. Tito désormais n’a plus à lutter contre un simple remords, une voix intérieure à laquelle on peut toujours imposer silence. Dès qu’il n’est plus le possesseur unique de son terrible secret, un seul mot peut ternir sa renommée naissante et, le signalant au mépris public, le faire tomber de cette chaire qu’il doit à de puissantes protections. Le danger s’aggrave pour lui d’une circonstance particulière. Fra Luca, le moine messager, n’est autre que Bernardino Bardo, le frère, de Romola, que l’irrésistible attrait de la vie religieuse dérobait naguère au foyer paternel. Toutefois le moment n’est pas encore venu où les faveurs du destin manqueront au jeune professeur. Fra Luca va mourir à Fiesole dans un des couvens de son ordre, et Romola, bien qu’elle assiste à son agonie, reste étrangère au secret que les lèvres du moribond semblent toujours prêtes à laisser échapper. Un seul mot suffirait pour l’éclairer sur l’indignité de l’homme à qui elle va se donner tout entière ; mais ce mot n’est pas prononcé. Tito demeure couronné aux yeux de Romola de sa chimérique auréole,… leur mariage s’accomplit.

C’est seulement dix-huit mois plus tard que le drame provisoirement suspendu se renoue et se complique. Charles VIII de France et son armée, appelés par Ludovico Sforza, invoqués par Savonarole, sont aux portes de Florence. Mille fermens de méfiance et d’inquiétude agitent la puissante cité, qui voit d’un œil jaloux les soldats étrangers, les bandes suisses et françaises, pénétrer dans ses murs sous prétexte d’alliance et menacer de conquête le peuple dont ils viennent protéger la liberté. À la vue de trois prisonniers qu’une escouade de hallebardiers français conduit, la corde au cou, par les rues et dont les clameurs sollicitent la commisération publique, une sorte d’émotion populaire se manifeste. Deux de ces malheureux sont jeunes et robustes ; le troisième au contraire est un vieillard dont les traits émaciés, la chevelure en désordre, le regard enflammé, la fière attitude commandent l’attention et les sympathies de la foule. Les clameurs, les imprécations commencent à se faire entendre. Le tumulte, le désordre croissent de minute en minute, et grâce à l’étourderie audacieuse d’un de ces enfans du peuple pour lesquels toute insurrection est un jour de fête, le plus âgé des trois prisonniers voit tomber en un instant les liens qui le garrottaient.