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moment vient de lui tout dire, et ce n’est pas sans un embarras secret que l’habile diplomate aborde ce sujet délicat, en laissant entrevoir à sa femme qu’il compte l’emmener en pays étranger. Les troubles de la république, les sombres perspectives de l’avenir, la nécessité de chercher ailleurs l’oubli des tristesses passées, tels sont les motifs qu’il fait valoir d’une voix insinuante, mêlant à ses doux propos les plus affectueuses caresses.


« Il s’était penché vers elle, il avait baisé son front, et une fois encore lissé de la main sa chevelure aux reflets d’or. Elle ne sentit même pas le contact de ses lèvres, troublée qu’elle était par l’idée de la distance qui séparait leurs âmes. — Tito, lui dit-elle, ce n’est pas mon agrément que je consulte quand je me refuse à quitter Florence. Si je tiens à y rester, c’est… pour veiller à l’accomplissement des volontés de mon père. Le grand âge de mon parrain ne nous permet pas de lui laisser ce soin.

« — Si je veux vous éloigner d’ici, ma Romola, c’est précisément à cause de ces superstitions qui pèsent, comme des nuages malsains, sur votre intelligence obscurcie. Je dois prendre soin de vous en dépit de vous-même : je dois vous enlever à ces rêves impraticables et substituer ma manière de voir à la vôtre, quand ces chers yeux dont le regard est si doux vous trompent et vous égarent…

« Romola demeurait immobile et muette. Ne pouvant méconnaître la tendance générale de cet entretien, elle pressentait une proposition qui, rompant de manière ou d’autre, leurs liens avec Florence, les dégagerait de leur mission sacrée, et, sur cette question où le devoir filial était engagé, la jeune femme n’entendait soumettre à personne les inspirations de sa conscience, bien décidée à résister, si pénible que cela pût être pour elle. Tito, se trompant à ce silence, qui semblait démentir une partie de ses craintes, dominé d’ailleurs par les calculs étroits où se prennent comme au piège les esprits simplement subtils et dépourvus de toute passion, crut avoir trouvé d’irrésistibles argumens. Sa conduite n’avait rien qui lui parût odieux, et son imagination ne suffisait pas pour lui faire exactement deviner sous quel jour cette conduite apparaîtrait à Romola. Il continua donc sur le ton des plus douces remontrances : — Votre raison si saine a déjà dû vous faire comprendre ce qu’avait de chimérique l’idée d’isoler à jamais une collection de livres et d’antiquités, d’y attacher à jamais le nom du fondateur. Cette idée ne répond à aucune notion d’utilité ou de bienfaisance ; un pareil plan doit être déjoué par mille hasards… Voyez ce que sont devenues les collections des Médicis !… Je vais plus loin, je trouve à blâmer dans ces arrangemens mesquins qui attribuent à une seule ville, cette ville fût-elle Florence, des richesses qui se multiplient en quelque sorte par les migrations et la dispersion… Je comprends votre respect pour la volonté de ceux qui ne sont plus ; mais si la sagesse n’assignait des bornes à cet ordre de sentimens, la vie entière s’absorberait dans un culte futile… A votre père, tant qu’il a vécu, vous avez consacré votre existence… Que vous imposeriez-vous de plus ?

« — L’exécution du mandat qu’il nous a confié, dit Romola d’une voix