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le Dicté le pin à pignon et le palmier. Il ne devait point en être ainsi dans l’antiquité ; quand l’île était plus peuplée et mieux cultivée, il ne devait guère y avoir, pour introduire des différences dans la végétation, que l’orientation et la différence de hauteur : grâce aux accidens du terrain, chaque province devait pouvoir réunir à peu près tous les arbres auxquels convient le climat de l’île.

Ce que nous avons parcouru et décrit, non sans tristesse, c’est la Crète telle que l’ont faite les hasards du temps et de la dévastation, les ravages de tant d’invasions barbares et la lente action d’un détestable gouvernement. Le tissu de forêts et de cultures, si riche et si varié, que la main de Dieu et celle de l’homme s’étaient autrefois complu à étendre sur les montagnes et les plaines de la Crète, a été partout, si l’on peut ainsi parler, troué et déchiré en lambeaux. Ici, c’est une couleur qui a disparu, là, c’en est une autre qui s’est évanouie ; nulle part on ne retrouve cet harmonieux mélange qui faisait jadis la beauté de l’ensemble. Comme nous le montrerons dans une autre étude, les habitans de l’île depuis plusieurs siècles ne songeaient guère au lendemain, parce qu’ils n’étaient jamais sûrs d’en jouir ; ils ne faisaient donc rien pour réparer ces désastres : là où les châtaigniers avaient échappé à l’incendie et aux ravages de toute espèce, ils mangeaient des châtaignes ; là où quelques chênes avaient survécu, ils recueillaient des glands. N’est-ce pas ainsi que dans tout l’Orient, l’homme, affaibli et comme rapetissé par un long découragement, obéit en esclave à la nature, au lieu de commander en maître ? Il tend la main comme un mendiant, pour recevoir d’elle ce qu’en souvenir du passé elle daigne encore lui offrir, comme un dernier hommage aux fortes races d’autrefois qui avaient si vaillamment dompté le sol encore vierge et soumis à leur énergie triomphante sa capricieuse et rebelle fécondité. En Grèce, dans les îles, de la Mer-Égée, en Asie-Mineure, l’homme, c’est un roi détrôné à qui la pitié de ses sujets, depuis longtemps affranchis par une révolte heureuse, sert une pension médiocre et mal payée ; humble et las, s’étant fait un cœur au niveau de sa fortune, il vit de cette aumône et de quelques débris de sa richesse disparue, des miettes tombées de la table somptueuse qu’avaient dressée et où s’asseyaient fièrement ses grands ancêtres.


GEORGE PERROT.