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vement qualité pour répondre de l’Allemagne ; malgré les difficultés de son organisation, peut-être à cause de ces difficultés, la confédération germanique s’abandonne tumultueusement à des passions d’envahissement et de violence ; l’Autriche et la Prusse, qui semblent avoir à redouter les conséquences du moindre ébranlement imprimé à la situation de l’Europe, n’hésitent point à faire appel à la force, à tenter des coups de main, lorsqu’avec la moindre patience, à la faveur d’un délai insignifiant, elles eussent pu obtenir le redressement de leurs griefs en évitant l’effusion du sang. Sans recourir à aucun essai de médiation et d’arbitrage, l’Allemagne se fait sommairement justice, en n’admettant personne à l’appréciation de la justice, qu’elle interprète à sa guise. Un petit peuple, un état faible est menacé et au même moment frappé de spoliation par des forces qui fondent sur lui avec une supériorité écrasante, et ce qui ajoute le dernier trait à ce triste et inquiétant spectacle, cette oppression du faible par le fort, cette tentative d’agrandissement de l’Allemagne, cette entreprise engagée pour changer une condition importante de l’équilibre européen s’accomplissent sous les yeux de l’Angleterre, de la France, de la Russie : l’union de deux de ces puissances eût été une force morale suffisante pour contenir l’intempérance germanique et prévenir cette déplorable guerre ; mais, séparées l’une de l’autre, elles sont condamnées par leur isolement ou à une inaction humiliante ou à des témérités périlleuses, et, en proférant de vaines paroles ou eh roulant des pensées sourdes, elles laissent remplacer en Europe le droit des gens par l’état de nature.

En réfléchissant à cette situation de l’Europe, dont la querelle des duchés nous montre encore une fois les tristes réalités, on ne peut se soustraire à une pensée qui jaillit pour ainsi dire de l’expérience que nous faisons depuis quelques années : la paix est une œuvre bien difficile et bien laborieuse. Pour conserver cette bienfaisante sécurité des esprits et des intérêts, combien ne faut-il pas dans les gouvernemens d’honnêteté, de sagesse, de prévoyance, de vigilance, de suite et de fermeté ! Il faut voir de loin, il faut surveiller ses fantaisies, il faut cultiver les alliances, il faut apporter dans les affaires un tour d’esprit à la fois sincère et conciliant, il faut accoutumer les peuples à l’idée de chercher le progrès dans la liberté, et les encourager à persister dans cette voie en leur donnant avec opportunité des satisfactions légitimes, il faut créer une sorte d’atmosphère morale qui contienne par son influence les intérêts rebelles. Le vulgaire a été habitué à n’admirer le génie politique que dans les coups de théâtre de la guerre : la politique de la paix a aussi son génie, génie moins tapageur sans doute, moins orgueilleux, moins égoïste, et parce que son plus grand art est de cacher avec une modeste adresse les moyens par lesquels il obtient ses succès, il ne serait ni juste ni sage d’en méconnaître la précieuse valeur. Sans doute les grands, politiques de la paix comme les grands politiques de la guerre ont commis des fautes et ont eu des revers ; mais malgré les infirmités qui les ont trahis, malgré leurs échecs, ils ont droit à la reconnais-