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mois de 1788. Il n’y aurait pas trop d’un volume tout entier pour apprécier sommairement cette multitude de brochures écloses tout à coup de la fermentation générale. La période électorale proprement dite commence à la fin de décembre 1788 et se termine à la fin de mai 1789. Elle s’ouvre, par le rapport au roi de Necker et le fameux résultat du conseil du roi du 27 décembre 1788, qui résolurent les principales questions soulevées par l’organisation des états-généraux. Sur le rapport de son ministre, le roi en son conseil avait décidé : 1° que les députés aux états-généraux seraient au moins au nombre de mille ; 2° que ce nombre serait formé, autant que possible, en raison composée de la population et des contributions de chaque bailliage ; 3° que le nombre des députés du tiers-état serait égal à celui des deux autres ordres réunis. M. Chassin avoue que cet acte excita dans toute la France un véritable enthousiasme, et pourtant il le blâme comme insuffisant. La royauté, dit-il, fut absurde autant, que perfide ; elle aurait dû décréter la réunion des ordres et le vote en commun.

Admettons un moment qu’il eût en effet mieux valu pousser jusqu’au bout les concessions. Dans cette hypothèse, la royauté se serait trompée, elle aurait commis une faute ; l’accuser d’absurdité et de perfidie, c’est beaucoup trop fort. Les excellentes intentions du roi et de son ministre ne sauraient être mises en doute ; ils ont cru l’un et l’autre faire tout ce qui était possible pour donner satisfaction, au tiers-état, et il faut bien que la plus grande partie de la nation ait partagé leur sentiment, puisque la reconnaissance fut générale. Allons plus loin, et demandons-nous si réellement Louis XVI aurait pu et dû faire davantage. Nous nous convaincrons sans peine que ce prince épuisa au contraire la mesure des concessions raisonnables, et que l’immense majorité nationale avait bien raison de s’en contenter.

M. Chassin, comme toute son école, part de deux points qui sont pour lui des articles de foi : la négation absolue du droit historique et le principe d’une seule assemblée. Je ne suis pas le prôneur exclusif du droit historique ; je reconnais sans difficulté que, dans la lutte des droits nouveaux et des droits anciens, les droits nouveaux doivent finir par l’emporter. L’unique question gît dans le mode de transformation. Ne tenir aucun compte des droits anciens quand les droits nouveaux se dégagent pour la première fois, c’est courir soi-même au-devant d’un échec certain. Les droits anciens ont, quoi qu’on fasse, une grande puissance ; ils se défendent avec d’autant plus de force qu’on les attaque avec moins de ménagement. La révolution a eu beau faire, elle a cru noyer dans le sang la royauté, la noblesse et le clergé, ces élémens constitutifs de la vieille France : royauté, noblesse et clergé ont survécu, du moins dans leurs caractères généraux, et sauf les modifications que le temps leur aurait fait subir dans tous les cas. On n’a réussi qu’à les rendre hostiles aux droits nouveaux. Le triomphe de ces droits n’eût pas été seulement plus doux et plus irréprochable,