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hauts-commissaires s’y étaient successivement brisés. Le parti national s’était si scrupuleusement maintenu sur le terrain légal qu’il était parvenu à s’y créer une position inattaquable et que les agens britanniques n’eussent pu le réduire au silence qu’en appliquant un système de répression sanglante aussi contraire aux droits des traités et à la constitution du pays qu’aux principes de l’humanité et de la justice. Un tel système, ne l’oublions pas d’ailleurs, ne pouvait convenir à une puissance fière à bon droit de sa renommée libérale et jalouse de se donner en Europe l’attitude de protectrice de l’indépendance des peuples et des idées de liberté. Était-il possible à l’Angleterre, sans démentir les principes formulés dans sa politique en Italie et ailleurs, de recourir, pour s’assurer l’obéissance d’un pays dont elle n’avait que le protectorat, aux moyens que la Russie emploie pour soumettre la Pologne ? Le maintien seul du statu quo sans répression violente était une grande difficulté pour la politique extérieure du cabinet britannique. Les plaintes des îles-Ioniennes avaient fini par retentir dans toute l’Europe et par fournir aux divers gouvernemens une fin de non-recevoir dont ils usaient volontiers quand l’Angleterre leur adressait sur leur politique intérieure des représentations libérales. Le ministère anglais parlait-il à la Russie de la condition des Polonais, on lui citait les sept îles ; adressait-il des observations pour demander le terme de quelque occupation étrangère en déclarant qu’elle était contraire aux vœux des populations, on lui contestait le droit de faire des observations de ce genre, puisqu’il continuait à occuper les Iles-Ioniennes malgré le vœu des populations. C’était donc faire acte de sage et habile politique que de renoncer résolument à une possession devenue une cause de faiblesse morale, et dont les inconvéniens politiques dépassaient les avantages militaires, car l’Angleterre donnait, en agissant de cette manière, un grand prestige moral à sa politique, et se présentait au monde comme le vrai champion des nationalités, capable de faire un sacrifice volontaire et spontané aux principes qu’elle proclamait. En échange d’un petit territoire, elle acquérait un levier d’une incomparable puissance pour agir à la fois sur les gouvernemens et sur les peuples.

Si l’Angleterre n’avait pas eu d’autre arrière-pensée en consentant à laisser les Iles-Ioniennes s’annexer à la Grèce, l’habileté de sa conduite n’en aurait pas diminué la générosité. Tout en servant sa propre influence politique, elle aurait eu à inscrire dans ses annales un de ces actes par lesquels s’honorent à jamais les nations qui en sont capables, et elle aurait établi son autorité morale parmi les chrétiens d’Orient sur la base la plus glorieuse et la plus légitime, celle des services rendus avec désintéressement. Par malheur