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comparaison qui ne pussent pas être discutés, le ministre adjoignit aux cinq navires cuirassés deux anciens vaisseaux de ligne à vapeur dont la réputation est faite dans la flotte, et une corvette de la force de 250 chevaux, le Talisman, commandée par M. Desaulx, capitaine de frégate, et construite par M. Normand, du Havre, sur le type du yacht du prince Napoléon, le Prince-Jérôme. Le nom du constructeur et le type de cette corvette suffisent pour indiquer la confiance que l’on avait dans ses qualités. Elle fit pendant toute la croisière le très laborieux service de mouche de l’escadre. Des deux vaisseaux, le premier qui vint prendre son rang dans la division était le Napoléon[1], commandé par M. A. Pichon, capitaine de vaisseau. Il y a dix ans, c’était l’orgueil de la marine française et, de l’aveu même des étrangers, le plus redoutable, le plus beau, comme il était le plus rapide et le plus puissant vaisseau qui eût encore figuré dans aucune escadre. J’ai dit les services exceptionnels qu’il avait rendus pendant la guerre de Grimée, et je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’y revenir. Après treize ans de l’existence la plus active, après avoir été employé avec plus de succès qu’aucun autre à ce pénible labeur de remorquage qui éprouve si durement les navires, il est remarquable encore par la parfaite conservation de ses formes et de ses lignes, il se distingue toujours par la puissance avec laquelle il lutte contre les efforts de la mer et du vent.

Dans les gros temps que la division rencontra au sortir de Cherbourg, lorsqu’on le vit, avec sa haute mâture, ses trois étages de canons et ses murailles si élevées au-dessus de l’eau, obtenir encore un sillage de 10 nœuds (plus de 18 kilomètres à l’heure) contre une mer très forte, plus d’un marin dut regretter la déchéance que les progrès de l’art de l’ingénieur ont fait subir, après un règne si court, à ce noble spécimen de l’architecture navale. Regrets superflus ! le Napoléon n’a pas de cuirasse ; ses canons, malgré leur nombre, seraient sans vertu contre les murailles de fer de la plus humble des frégates qui naviguent de conserve avec lui, ses murailles de bois seraient incendiées ou détruites en un instant par l’artillerie du plus faible des bâtimens cuirassés. Ce n’est pas pour courir cette chance qu’il a été attaché à la division d’essais. S’il a perdu son prestige militaire, il a conservé ses qualités nautiques qui sont toujours célèbres, et il va servir, sous ce rapport, de terme de comparaison avec des navires dont la puissance militaire n’est pas contestée, mais que l’on accuse de n’être pas marins. On va voir les résultats qu’a produits une comparaison minutieuse ; mais, pour les bien apprécier, il ne faut pas oublier ce qu’est le Napoléon.

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1862.