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sur ces vaisseaux afin de pouvoir les armer d’un éperon. C’est le trait le plus nouveau qui les caractérise.

L’éperon est fixé sur le sommet de l’angle que nous venons de décrire, à l’extrémité de la cuirasse qui enveloppe tout le navire à la flottaison, de manière à faire corps avec elle et à recevoir de cette alliance le maximum possible de solidité. C’est une masse d’acier fondu du poids de 12,000 kilogrammes environ qui se présente à peu près à six mètres en avant de l’étrave sous la forme d’un cône creux qui aurait deux longues pattes, s’appliquant comme les jugulaires d’un casque sur les flancs du vaisseau. Sauf à l’extrémité, le cône est creux ; mais à l’intérieur ses parois, qui, dans leur partie la plus faible, n’ont pas moins de 12 centimètres d’épaisseur, sont façonnées pour s’appliquer exactement sur la charpente du bâtiment ; l’éperon ne fait qu’un avec lui.

Cette arme, quoiqu’elle n’ait pas encore subi l’épreuve de l’expérience, inspire une très grande confiance aux marins. Imaginez un projectile du poids de 7 millions de kilogr. ; tel est le rôle que jouerait le Solferino en voulant aborder un vaisseau ennemi, et s’il l’abordait par le travers, il n’est pas besoin de dire ce qui adviendrait. De plus le Solferino jouit d’une rapidité de marche telle qu’il est très peu de navires, on n’en citerait peut-être pas dix dans le monde, qui pussent se dérober par la fuite au choc de son éperon : fuir ce serait se livrer. Le vrai système de défense serait au contraire d’attendre le choc et de manœuvrer pour l’éviter à l’instant même où le mouvement d’abordage semblerait prendre son élan définitif. Celui qui chercherait à éviter l’abordage devrait se considérer comme le centre d’une circonférence dont l’abordeur serait obligé de suivre les contours avant d’avoir trouvé son instant propice. Dans cette position, le navire à aborder s’assurerait probablement l’avantage d’une facilité d’évolutions relativement plus rapides parce qu’il lui suffirait pour se dérober de beaucoup moins d’espace que l’ennemi n’en aurait à parcourir pour porter son coup. Dans une grande bataille navale, — et quelles que soient les armes qui ont été employées, toutes les batailles sérieuses ont toujours fini par une mêlée de navires, — le Solferino serait certain de pouvoir combattre avec son éperon ; mais ce qui reste encore à savoir, c’est le mal qu’il pourrait se faire à lui-même dans cette audacieuse entreprise. C’est une expérience qui n’a encore été faite par personne dans des conditions et avec une exactitude suffisantes pour qu’il soit possible d’en conjecturer les résultats, même d’une manière approximative. D’ailleurs l’éperon ne semble nuire à aucune des qualités nautiques des bâtimens, si ce n’est dans les viremens de bord exécutés avec une très faible vitesse. Alors il retarde d’une manière