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de la mélodie et de la musique vocale, les airs, les duos, les trios, les morceaux d’ensemble, la comédie et le drame lyrique, qu’ils ont transmis à tous les peuples de l’Europe. L’Allemagne, dont le génie musical, aussi bien que le génie littéraire, s’est développé beaucoup plus tard que celui des nations latines, est venue ajouter à ce fonds mélodique inventé par l’Italie le coloris de l’instrumentation, fortifié d’harmonies plus savantes et de modulations plus nombreuses. Quelles que soient les transformations que le temps puisse faire subir à ces deux grandes écoles qui expriment les tendances et les aspirations de deux grandes nationalités, elles conserveront toujours les propriétés qui les distinguent, et jamais le pays qui a donné le jour à Palestrina et à Cimarosa ne produira des musiciens comme Sébastien Bach ou Beethoven. Quoi qu’il arrive, l’Italie ne cessera jamais d’accorder ses préférences à la mélodie vocale, forme limpide, mais limitée, des sentimens humains, qu’elle aime avant tout à exprimer, tandis que le génie profond et mystique de l’Allemagne gardera son goût pour les combinaisons de l’harmonie et les cent voix de l’orchestre, écho grandiose de la pensée et du symbolisme de la nature extérieure.

Pour appuyer ces considérations générales, pour les mieux faire pénétrer dans l’esprit de Frédérique, le chevalier composa une sorte d’anthologie musicale, un recueil de morceaux empruntés aux différens maîtres de l’école italienne, Léo, Pergolèse, Jomelli, Piccinni, Sacchini, et même à des compositeurs moins illustres. Il en est un surtout, Astorga, pour qui le chevalier avait un goût particulier, peut-être à cause de la vie mystérieuse, vagabonde et romanesque qu’il avait menée. Né à Palerme en 1681, Emmanuel Astorga était le fils d’un chef de bandes au service de la noblesse sicilienne qui se souleva contre la domination espagnole en 1701. Il vit mourir son père sur l’échafaud, et perdit peu de temps après sa mère, qui avait été forcée d’assister au supplice de son mari. Recueilli par la princesse des Ursins, qui eut pitié de sa jeunesse et de ses malheurs, l’orphelin fut placé dans le couvent d’Astorga, en Espagne, dont il prit le nom. C’est dans cette retraite qu’il acheva son éducation et qu’il développa sans doute l’instinct qu’il avait reçu de la nature pour l’art musical. Devenu baron grâce à la protection vigilante de Mme des Ursins, Astorga fut chargé d’une mission près la cour de Parme en 1704. Homme agréable, chanteur excellent, compositeur de canzonette et de mélodies touchantes, Astorga, comme son contemporain Stradella, fut très recherché par le beau monde, et l’on a même tout lieu de croire qu’il s’éprit d’une vive passion pour la fille du duc de Parme, Elisabeth Farnèse, depuis reine d’Espagne. Cet amour secret et dangereux fut découvert par le duc, qui se contenta d’éloigner le baron d’Astorga en lui donnant une lettre de recommandation