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jour même de votre départ clandestin, j’ai envoyé Frantz à Manheim pour avoir de vos nouvelles, et il m’est revenu comme il était parti, car personne à votre logis n’a pu lui dire où vous étiez allé. Si quelque méchante fée ne vous a pas enlevé à vos amis, qui sont si heureux de vous aimer, je vous ordonne, sous la peine d’une complète disgrâce, de venir le plus tôt possible reprendre votre place dans ma maison. Vous nous manquez à tous ici, à ma nièce Frédérique surtout, qui ne cesse de me parler de vous, et que vous avez, je crois, ensorcelée par votre esprit. Le docteur Thibaut, que j’ai eu hier à dîner, me demandait : « Où est donc le plus aimable et le plus ingannatore des Vénitiens ? Je n’ai pas oublié l’engagement qu’il a pris envers moi et M. Rauch de nous développer ses idées sur l’origine et le mouvement de l’école romantique. Quoi de plus curieux que d’entendre un Italien plein d’imagination et de savoir expliquer la philosophie et le galimatias panthéistique qui troublent nos cervelles allemandes ? »

La lecture de cette lettre changea toutes les dispositions du chevalier. Ivre de joie, il se dit : Elle m’aime !… elle m’aime !… Et il partit à l’instant pour Schwetzingen. Son entrée dans cette noble et excellente famille fut un événement.

— Pour Dieu, chevalier, lui dit la comtesse en l’embrassant, ne faites plus de telles escapades sans nous prévenir ! Quelle idée vous avez eue là de nous quitter brusquement sans dire un mot à personne !… Ah ! je vois bien, ajouta-t-elle avec le naturel charmant qui la caractérisait, que vous ne vous doutez pas de tout l’intérêt que nous vous portons.

Touché de l’accueil affectueux de la comtesse et un peu honteux de sa conduite, le chevalier balbutia quelques paroles d’excuse en serrant la main de Fanny, d’Aglaé et de Frédérique, qui étaient également accourues dans le salon pour le recevoir.

— Eh bien ! dit Mme de Narbal en se tournant vers Frédérique, le voilà cet infidèle chevalier errant par qui tu te croyais abandonnée ! Profite bien de ses conseils, ma chère nièce, et entendez-vous toutes trois pour l’enchaîner ici le plus longtemps que vous pourrez.

La première fois que le chevalier se trouva seul avec Frédérique, il fut assez embarrassé. Il lui importait de cacher à cette jeune fille le sentiment pénible qu’il avait éprouvé et de ne pas lui laisser deviner la vraie cause de sa fuite clandestine. Si dans un moment d’émotion le chevalier avait osé dire à Mlle de Rosendorff l’intérêt tout respectueux qu’elle lui inspirait, il pensait avoir suffisamment corrigé l’effet de son imprudence par les nombreuses restrictions dont il avait enveloppé son aveu. Le chevalier en un mot se croyait