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du culte protestant les monodies ou airs de bravoure qu’ils entendaient chanter dans les chapelles des princes allemands par les artistes italiens. Ce fait incontestable de l’influence alternative de la France et de l’Italie sur les arts et la sociabilité de l’Allemagne n’a rien qui puisse blesser notre fierté nationale. Le peuple allemand a prouvé depuis quelle était la profonde originalité de son génie dans toutes les connaissances humaines. Dans l’art musical surtout, l’Allemagne possède une originalité qu’aucun peuple de l’Europe ne lui conteste ; elle partage avec l’Italie l’honneur d’avoir créé les plus grands effets de la musique moderne.

— Bravo ! s’écria le chevalier Sarti, tout cela est d’une parfaite justesse. Permettez-moi seulement d’ajouter qu’en Italie comme en Allemagne la musique se développe beaucoup plus tard que la poésie, la peinture et les autres formes de l’esprit humain. Palestrina, mort en 1594, un siècle après Raphaël, a laissé l’art musical de son pays bien loin de l’état de perfection où était parvenue la peinture sous la main des beaux génies de la renaissance.

— Je vous entends, mon cher chevalier ; vous en venez toujours à votre idée favorite, que le caractère tendre, profond et légendaire de la poésie des races allemandes n’a été traduit en musique que de nos jours, et que le Freyschütz est le premier opéra allemand où l’expression des sentimens humains se mêle à la peinture du monde extérieur. N’est-ce pas là votre pensée ?

— Oui, vraiment. Il vous serait difficile de me prouver qu’avant la formation de la nouvelle école romantique au commencement de ce siècle, on trouve dans la musique allemande les puissans effets de coloris qui distinguent l’œuvre de Beethoven et de Weber.

— On trouve la Création et les Saisons d’Haydn, la Flûte enchantée de Mozart, sans parler de son Don Juan, que vous admirez autant que moi, chevalier ; on trouve l’œuvre colossale et si diverse de Sébastien Bach, les grands oratorios de Haendel, qui nous appartiennent par droit de naissance, et tout cela vaut bien le pittoresque philosophique de vos romantiques modernes.

— Ce sont d’autres effets, d’autres beautés. Il y a entre les deux époques la même différence qu’entre le merveilleux naïf de la Flûte enchantée et celui qui plane au-dessus de la forêt sombre où se passe la simple histoire du Freyschütz.

Le programme de la seconde partie du concert organisé par M. Thibaut comprenait les essais de musique dramatique tentés en Allemagne dans les trente premières années du XVIIIe siècle. C’est dans la ville libre de Hambourg qu’un groupe de musiciens ingénieux et hardis, tous imitateurs de Lulli ou de l’école italienne, fondèrent un théâtre lyrique allemand, et tentèrent d’opposer des