Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

E fu breve anche in sogno
Il mio contento.

« La crainte, la honte, la colère, m’assaillirent tout à coup, et mon bonheur fut aussi éphémère dans le rêve que dans la réalité. »


À cette conclusion douloureuse chantée avec autant d’art que d’émotion, M. Thibaut battit chaudement des mains, et le public suivit son exemple. À peine le chevalier avait-il achevé de chanter cette mélodie ravissante avec des accens profonds et inimitables, que M. Thibaut, l’embrassant avec effusion, s’écria : C’est admirable, mon cher Vénitien, admirable ! et vous êtes un grand artiste, un poète, un philosophe, que sais-je ? tout ce que vous voudrez. — Et l’émotion gagna tout l’auditoire, qui manifesta sa sympathie par des acclamations bruyantes.


IV

Le lendemain de la fête que nous venons de décrire, Mme de Narbal était de retour à Schwetzingen. Ce voyage de quelques jours, la conduite très réservée et le succès du chevalier avaient produit une assez vive impression sur Mlle de Rosendorff. Frédérique était mécontente et un peu blessée de l’indifférence qu’on lui avait témoignée pendant tout ce voyage. Elle ne se rendait pas bien compte de l’état de son cœur, ni des reproches de légèreté et de coquetterie que Lorenzo pouvait lui adresser. Elle était naturellement charmée de l’empressement de Wilhelm et des hommages qu’il lui rendait, sans qu’elle sentît le besoin de se dire ce qu’elle éprouvait réellement pour l’un et pour l’autre des deux hommes qui s’occupaient d’elle. Frédérique était jeune, indécise, se laissant aller aux courans divers qui la sollicitaient, agréant naïvement les soins de Wilhelm sans croire manquer au sentiment confus, mais déjà profond, que lui inspirait le chevalier. Elle était femme, elle se laissait vivre de la double vie qui était en elle, touchée de la grâce de Wilhelm, fascinée par la supériorité morale de Lorenzo.

À Schwetzingen, Frédérique chercha tout naïvement à reconquérir les bonnes grâces de Sarti, à rétablir les rapports affectueux qui existaient entre eux avant le voyage de Heidelberg ; mais le Vénitien ne se prêta plus au désir de la jeune fille. Malheureux, honteux de la folle passion qui l’avait envahi, il résolut de rompre enfin le charme et de délier le nœud qui l’étreignait. Il allait très souvent à Manheim et y passait plusieurs jours, autant pour essayer son courage que pour habituer Mme de Narbal à le voir moins assidûment chez elle. On s’aperçut de ce changement, et la comtesse en plaisanta