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chez Phidias et chez Polyclète, et payait leurs leçons ; mais qu’apprenait-il dans leur atelier ? Là dessus les écrivains nous ont laissé peu de détails, et l’appétit archéologique, si aiguisé de nos jours, en est réduit à se repaître de conjectures. Un point très débattu est celui de savoir si les artistes grecs étudiaient l’anatomie. Émeric David n’en doute pas ; la seule beauté des statues antiques lui suffit pour trancher la question. Les textes cependant auraient ici leur importance, et ceux qu’on a réunis ne paraissent pas décisifs. Karl Sprengel[1] ne croit pas que les premiers essais de dissection remontent plus haut que l’époque d’Aristote. Selon d’autres, Galien lui-même n’aurait disséqué que des singes et des chiens, et aurait conclu par analogie de la structure de ces animaux à celle de l’homme. Hippocrate, d’après Pausanias, avait déposé un squelette d’airains dans le temple de Delphes ; mais rien ne prouve que le modèle de cette étrange statue ait été la charpente osseuse d’un homme disséqué. D’ailleurs nous savons positivement que chez les Grecs la piété envers les morts, étrangers ou non, amis ou ennemis, était extrême, qu’on flétrissait celui qui, par haine ou ressentiment, déniait la sépulture à son ennemi qui n’était plus, qu’à Athènes une loi ordonnait d’ensevelir tout cadavre que l’on rencontrait sur son chemin, qu’enfin il n’y avait que l’être le plus dégradé et le plus infâme qui osât enfreindre ce devoir. Eh bien ! supposons néanmoins que les Grecs aient été moins ombrageux que les contemporains d’André Vésale, et qu’ils aient fermé les yeux sur les opérations anatomiques d’Hippocrate, il restera encore à établir qu’Agéladas, Phidias, Polyclète, Scopas et leurs élèves jouirent de la même tolérance. On s’appuiera alors sur la profonde science que semble déceler, par exemple, le Thésée ou Hercule Idéen du Parthénon ; mais souvenons-nous que les écrivains me parlent même pas de modèles d’hommes, encore moins de ce modèle spécial et si utile qu’on nomme dans les écoles l’écorché ; souvenons-nous des leçons mille fois variées d’anatomie vivante et en mouvement qu’offraient le gymnase, les jeux, les bains, et nous admettrons, avec Ottfried Müller, que le sculpteur grec, connaissant admirablement le dessus, ait pu se dispenser d’étudier le dessous par la dissection, tandis qu’au contraire l’artiste moderne est obligé de compléter par l’analyse du dessous sa science du dessus, toujours plus imparfaite et plus bornée que celle des Grecs.

L’étude attentive du corps vivant commença de bonne heure et fut poussée très loin. Les sculpteurs grecs y furent d’abord astreints à l’égard des statues iconiques d’athlètes vainqueurs, qu’ils étaient

  1. Dans son Histoire de la Médecine, 1821.