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des faits et des doctrines, du rapport des doctrines avec les faits, Émeric David aurait compris que le souci constant de l’idéal exerça sur le développement de la plastique grecque une influence décisive. A-t-il mieux expliqué le passé plus récent de la sculpture ? a-t-il plus clairement entrevu les conditions de son progrès à venir ? Faut-il maintenir sans restriction sa réponse à la question qui lui était posée ? C’est ce qu’il faut examiner maintenant.


III

« Je crois que rien n’arrive deux fois de la même manière. Les causes antiques ou modernes qui ont fait fleurir les arts ne peuvent plus reparaître. Il s’en développera d’autres. » Voilà ce qu’écrivait le sage Quatremère de Quincy en 1790, peu de temps avant l’ouverture du concours où fut couronné l’ouvrage d’Émeric David. Ces lignes, le lauréat aurait dû les prendre pour épigraphe. Elles expriment une loi de l’histoire que l’art et la critique ont souvent méconnue, mais jamais impunément. Oui, à toutes les époques heureuses et florissantes, chaque art devient fécond par l’emploi des mêmes procédés techniques et pratiques, par les mêmes encouragemens et les mêmes honneurs que lui prodiguent à l’envi le goût public et les gouvernemens, par le même penchant à exprimer ce que l’âme humaine éprouve de plus noble et de plus élevé. Là est l’explication des ressemblances que ce même art présente en des temps d’ailleurs différens ; mais aussi, chaque fois qu’il revient à la vie, il mêle à ces frappantes analogies des différences plus frappantes encore. Michel-Ange n’est plus Phidias ; Jean Goujon n’est plus ni Phidias ni Michel-Ange ; Puget est autre que ses prédécesseurs. Pourquoi ces caractères si profondément distincts des génies et des œuvres ? C’est, pour répéter le mot de Quatremère de Quincy, que rien n’arrive deux fois de la même manière, et que certaines causes meurent en quelque sorte, emportant avec elles le germe de leurs effets. Le retour des causes indestructibles et générales rend compte des similitudes dans le passé, et si ce retour est encore possible, il est permis d’attendre de l’avenir une perfection rivale de celle de l’antique ; mais les causes nationales, locales, essentiellement particulières, donnent à leur tour le secret des dissemblances, et si ces causes ont à jamais disparu, cette disparition fournit la raison des variations successives de l’art, et interdit à l’esprit, même le plus généreux et le moins pessimiste, des espérances chimériques.

Quelques exemples empruntés à l’histoire, de la sculpture moderne