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Jamais on n’a mieux connu que de nos jours l’histoire des époques de l’art ; jamais le courant des idées ne fut plus large et ne reçut tant d’affluens. Ces eaux vives, la pensée française a gardé la force de les détourner à son profit, de les diriger jusqu’à un certain point et de les mêler aux eaux de ses propres sources ; mais la critique d’art est aussi une des énergies de la pensée française, et sans contredit l’une des plus jeunes, des plus actives et des moins fatiguées. Quand le critique d’art a du talent, quand il a de la science, de la compétence, il a aussi de l’autorité, et on l’écoute. Entre la pure idée et l’art qui doit l’exprimer, le critique d’art est aujourd’hui le médiateur nécessaire. C’est à lui de transmettre au sculpteur, sous une forme déjà plus vivante et plus concrète, les inspirations de l’intelligence moderne et surtout française. Pas plus que les gouvernemens et les lois, la critique d’art ne créera le talent ou le génie ; mais elle peut l’avertir, elle peut l’initier aux conceptions de l’esprit nouveau, moins faciles à saisir que les créations de la religion grecque. Si la critique d’art peut cela, et nous croyons qu’elle le peut, il dépend d’elle de rendre aux arts plastiques non certes la grâce native de la statuaire grecque, mais quelque fraîcheur et quelque jeunesse.

Un résultat essentiel à obtenir avant tout, c’est que les artistes soient convaincus de la nécessité absolue d’élargir par une instruction solide et variée le cercle de leurs connaissances. On est généralement d’accord sur ce point. Toutefois on semble, dans notre pays, trop compter sur les élans heureux des natures bien douées, et en même temps trop redouter pour l’artiste le frein de la réflexion et le poids de la science. Or les Grecs, dont les instincts esthétiques étaient à coup sûr beaucoup plus impérieux, beaucoup plus énergiques que les nôtres, n’avaient ni cette confiance exagérée ni ces appréhensions excessives. Il est avéré qu’en Grèce les artistes cultivaient les sciences et se gardaient de dédaigner les théories. Ami d’Anaxagore, Phidias apprit de ce penseur illustre à mieux comprendre la grandeur et la souveraine beauté de l’Intelligence éternelle, cause du mouvement de l’univers. Le peintre Parrhasius ; le statuaire Cliton, accueillaient Socrate dans leur atelier, et quand Socrate leur disait d’exprimer dans leurs ouvrages les passions et les beaux mouvemens de l’âme, ils suivaient ces conseils, et s’en trouvaient bien. Moins puissamment doués que les contemporains d’Anaxagore et de Socrate, les artistes français voudraient-ils donc rester plus ignorans ? Ne doivent-ils pas au contraire s’efforcer de regagner du côté de l’intelligence, par l’instruction et la science, ce qui leur a été refusé du côté de l’instinct ? Certes on ne prétend pas ici imposer à leur imagination l’écrasant fardeau d’un savoir