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« Ce jeudi.

« Je suis si convaincue de votre amitié, et je vous ai vu prendre tant de part à ce qui me regarde, que je crois que vous serez bien aise de continuer à en être instruit. A mon retour, le roi me dit qu’il avoit envoyé M. Colbert proposer à Mme la comtesse de se défaire de sa charge. Elle dit qu’elle viendroit le trouver. Elle y vint en effet hier. Il lui dit les mêmes choses qu’il lui avoit mandées. Elle demanda un jour pour en parler à Mme la princesse de Carignan, et ne donna point encore sa réponse. Du reste, tout est fort paisible ici. Le roi ne vient dans ma chambre qu’après la messe et après souper. Il vaut beaucoup mieux se voir peu avec liberté que souvent avec de l’embarras. Mme de Maintenon est demeurée pour quelque légère indisposition : le duc du Maine est avec elle. Voilà toutes les nouvelles du logis. Je vous prie de faire mes complimens à Mme la duchesse de Noailles. Vous m’obligerez aussi de me chercher du velours vert,… et je voudrois bien qu’il ne fût pas si cher qu’à votre ordinaire[1]. »


Les dénonciations des complices de la Voisin et de sa fille, survenant quelque temps après, durent porter un coup funeste à Mme de Montespan. Vinrent-elles à son oreille ? Rien ne le prouve ; mais comment croire que Louis XIV, fatigué du joug et des hauteurs et ne voulant pas être gêné, les lui ait laissé complètement ignorer ? Les lettres de Mme de Sévigné et de Mme de Maintenon vont nous montrer l’évolution qui se faisait dans son cœur. « Il y eut l’autre jour, écrit Mme de Sévigné à sa fille le 25 mai 1680, une extrême brouillerie entre le roi et Mme de Montespan. M. Colbert travailla à l’éclaircissement, et obtint avec peine que sa majesté feroit médianoche comme à l’ordinaire. Ce ne fut qu’à condition que tout le monde y entreroit… » Le mois suivant (9 juin), Mme de Sévigné constate que l’ascendant de Mme de Maintenon croît toujours et que celui de Mme de Montespan diminue à vue d’œil, puis, le 7 juillet, qu’on a beaucoup de rudesse pour celle-ci. Quatre jours auparavant, Mme de Maintenon avait écrit à son frère d’Aubigné, dans un style à la hauteur du personnage : « On est enragé ; on ne cherche qu’à me nuire.

  1. Mme de Montespan n’avait sans doute pas été heureuse au jeu ce jour-là. Un correspondant de Bussy-Rabutin, le marquis de Trichâteau, lui écrivait le 6 mars 1679 : « La nuit du lundi au mardi, Mme de Montespan perdit quatre cent mille pistoles (quatre millions du temps) contre la banque, qu’elle regagna à la fin. (Les dépenses pour la marine et les galères s’étaient élevées à 10,858,220 livres en 1678, et l’année 1676, la plus forte du règne, n’avait pas atteint 13 millions). Sur les huit heures du matin, étant quitte, Bouyn, qui tenoit la banque, voulut se retirer ; mais la dame lui déclara qu’elle vouloit encore s’acquitter d’autres cent mille pistoles qu’elle devoit de vieux, ce qu’elle fit avant de se coucher… » Voilà certes une nuit bien employée.