Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/456

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de roubles, solde des emprunts faits par des particuliers et payables en divers termes, de quinze à trente-sept ans ? Le portefeuille ne mentionne que 5 millions de lettres de change, et contient pour 208,294 roubles de lettres de change protestées. Quel triste reflet de la situation commerciale de l’empire !

La Banque de l’État porte à son passif, outre les 634 millions de roubles de billets de crédit, véritable dette publique sans intérêts, plus de 268 millions de billets à 5 pour 100, et 47 millions de billets à 4 pour 100. Les dépôts à la banque atteignent presque 100 millions de roubles ; elle doit 27 millions en comptes-courans particuliers, 45 millions aux comptes-courans des comptoirs, et 43 millions à divers, pour ne parler que des principaux articles de ce passif colossal, qui s’élève à plus d’un milliard 200 millions de roubles, environ 5 milliards de francs, en dehors du capital de la banque et déduction faite de la réserve métallique, sans qu’il soit couvert autrement que par les engagemens du trésor et par des prêts hypothécaires d’un recouvrement lointain et incertain.

Lorsqu’on rapproche ce résultat du tableau peu consolant que présente un budget en déficit, on ne s’étonne pas de la réserve générale contre laquelle ont échoué les derniers efforts de la Russie pour obtenir un nouvel emprunt extérieur ; mais il est permis de s’émerveiller de l’assurance avec laquelle ses hommes d’état parlent de sa grandeur et de sa puissance, et paraissent la pousser dans les hasards d’une lutte formidable. Comment lui serait-il possible de subir les lourds sacrifices de la guerre, alors que les recettes du trésor ne sauraient augmenter, qu’elle voit tarir les sources du crédit extérieur, et qu’elle risque déjà de fléchir sous le poids d’une dette flottante énorme et d’un papier-monnaie exubérant ? S’il est un pays auquel un vaste déploiement de forces semble interdit aujourd’hui, c’est la Russie. Elle a plus que personne besoin de se retremper dans la paix pour traverser la période pénible des premières années de l’émancipation des paysans. Tout lui commande de se transformer, de renoncer à des visées trop ambitieuses et à d’injustes prétentions, à moins qu’elle ne soit décidée à s’abîmer dans une banqueroute colossale qui consommerait d’effroyables ruines sans présenter de chance plausible de salut.


L. WOLOWSKI, de l’Institut.