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faisait partie. Or cette étude nous est facile, grâce à Cicéron. Malgré tant de différences de conduite et de principes, Cicéron a toujours éprouvé pour Cælius un attrait singulier ; il aimait la conversation de cet homme d’esprit aimable qui riait de tout, et se trouvait avec lui plus à l’aise qu’avec des gens comme Caton ou Brutus, dont la raideur l’effrayait. Il le défendit devant les tribunaux, quand une femme qu’il avait aimée essaya de le perdre, et ce plaidoyer est assurément un des plus agréables qui nous restent de lui. Plus tard, lorsqu’il fut forcé d’aller en Cilicie, il le choisit pour son correspondant politique. Par un hasard heureux, les lettres de Cælius nous sont parvenues avec celles de Cicéron, et il n’y en a point dans tout ce recueil qui soient plus spirituelles et plus piquantes. Rassemblons tous les détails qui y sont épars ; essayons de refaire, en les recueillant, l’histoire de Cælius, et par elle d’avoir une idée de ce qu’était alors la jeunesse romaine. Il n’est pas sans intérêt de la connaître, car elle a joué un rôle important, et c’est d’elle surtout que César s’est servi pour la révolution qu’il voulait accomplir.


I

Cælius ne sortait pas d’une famille illustre. Il était fils d’un chevalier romain de Pouzzoles qui avait fait le commerce et acquis de grands biens en Afrique. Son père, qui n’avait eu toute sa vie d’autre souci que de s’enrichir, montra, comme il arrive, plus d’ambition pour son fils que pour lui-même : il voulut qu’il devînt un homme politique, et comme il voyait qu’on n’arrivait aux dignités que par l’éloquence, il l’amena de bonne heure à Cicéron, pour qu’il en fît, s’il était possible, un grand orateur.

Ce n’était pas encore l’usage qu’on enfermât les jeunes gens dans les écoles des rhéteurs, et qu’on se contentât de les exercer à des causes imaginaires. Dès qu’ils avaient pris la robe virile, c’est-à-dire vers seize ans, on s’empressait de les conduire à quelque homme d’état en renom qu’ils ne quittaient plus. Admis à sa familiarité la plus intime, ils écoutaient ses entretiens avec ses amis, ses discussions avec ses adversaires ; ils le voyaient se préparer dans le silence aux grandes batailles de la parole, ils le suivaient dans les basiliques et sur le Forum, ils l’entendaient plaider des procès ou parler au peuple assemblé, et quand ils étaient devenus capables de parler eux-mêmes, ils débutaient à ses côtés et sous son patronage. Tacite regrette beaucoup cette éducation virile, qui, plaçant un jeune homme dans les conditions mêmes de la vérité, au lieu de le retenir parmi les fictions de la rhétorique, lux donnait le goût d’une éloquence naturelle et vraie, qui le fortifiait en le jetant du premier coup au milieu des combats véritables, et, selon son expression, lui