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sincérité et la force de l’aspiration progressive. On a souvent vu, lorsque les mouvemens réformistes étaient arrivés à maturité, des hommes d’état abandonner une résistance désormais impossible, et devenir eux-mêmes les réalisateurs des réformes qu’ils avaient passagèrement combattues. C’est dans cette classe d’esprits perfectibles et doués du sens de l’opportunité que nous nous plaisons à ranger M. Rouher, même au moment où il lance l’anathème contre la liberté de la presse.

Nous avons écouté plus volontiers les conseils de patience donnés par M. Rouher à l’opposition. Nous sommes bien convaincus en effet que la patience et une modération virile doivent, dans les circonstances actuelles, être plus profitables à l’opposition que les temporisations et une résistance trop prolongée ne pourraient l’être au gouvernement. Cet avantage, que les politiques du XVIe siècle appelaient le bénéfice du temps, appartient aujourd’hui à, la cause libérale. Le temps est pour nous, soit qu’il nous aide à réunir et à fondre ensemble les divers élémens du parti libéral, soit qu’il porte au profit de la liberté les fautes que commettront ses adversaires et les difficultés qu’ils peuvent rencontrer devant eux. M. de Cavour, cet homme que M. Thiers a si justement appelé illustre, se consolait des obstacles qui arrêtaient l’Italie devant Rome et devant Venise en songeant que l’effort prolongé auquel l’Italie était ainsi condamnée aiderait à l’œuvre de l’unification, et mûrirait son pays pour l’unité. Les retards apportés à ce que l’on nomme chez nous le couronnement de l’édifice produisent un effet semblable sur le parti libéral français, et aident indirectement à la fusion des élémens dont ce parti se compose. Les diverses fractions de l’opinion libérale s’accoutument, dans cette attente laborieuse, à donner dans leurs aspirations le premier rang à la liberté ; elles s’appliquent à oublier ce qui les a autrefois divisées pour ne plus voir que ce qui aujourd’hui les unit. Dans cette action commune que la durée fortifie, d’anciens malentendus se dissipent, les questions personnelles s’effacent, les esprits se modèrent, une mutuelle estime s’établit. Quand nous voyons dans le pays et au sein de la chambre les résultats déjà obtenus et ce salutaire travail de l’union des partis qui s’accomplit pacifiquement et généreusement, quelle raison aurions-nous d’être impatiens ? Et ce n’est pas seulement dans l’intérieur du parti libéral proprement dit que nous constatons les heureux effets de cette renaissance politique, nous en discernons avec joie d’analogues dans les rangs de la majorité de la chambre. En arrivant plus forte dans le corps législatif, l’opposition libérale, cela est visible et tout le monde s’en doit réjouir, a du même coup élevé le niveau politique de l’assemblée tout entière. La majorité a été touchée d’émulation ; les voix éloquentes de M. Thiers, de M. Berryer, n’ont pas seulement communiqué une verve et une force nouvelles à MM. Jules Favre, Ollivier et Picard, elles semblent évoquer au sein de la majorité des mérites, des compétences, des talens qui savaient pas donné toute leur valeur ou qui s’igno-