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M. Gautier écrit ces lignes : « Les vantaux de la porte offraient encore, vers le haut, quelques restes de peintures sang de bœuf et semblaient rougir de leur état de délabrement. » M. Gautier tient décidément à passer pour un contemporain de Théophile. Quant à son amour exagéré du burlesque et du trivial, nous le renverrons à Scarron lui-même, qui estime à leur juste valeur, en maint endroit, ces débauches d’esprit et de style, ou comme il dit, ce fâcheux orage du burlesque. Et certes, si l’auteur de l’Enéide travestie et de tant d’œuvres grotesques avait péché contre le goût, l’auteur du Roman comique s’y connaissait et n’était pas dupe de lui-même.

Ce qu’enlèvent au sentiment et à la vérité de pareilles allures, on le comprend sans peine : si quelques pâles rayons éclairent par hasard l’œuvre artificielle de M. Gautier, ils ne s’y arrêtent pas. Les pages qui offrent çà et là un peu de poésie naturelle et d’émotion ne font que mieux ressortir l’aridité du reste. Le départ du jeune baron de Sigognac, ses adieux au manoir paternel et aux compagnons de sa vie, le brave Pierre et le chien blanc Miraut, et le chat noir Béelzébuth, et le vieux cheval Bayard, ont quelque chose d’attendrissant. L’endroit où le baron trouve tout à point dans le jardin dévasté « deux petites roses sauvages ouvrant à demi leurs pétales, » et les offre aux deux comédiennes qui l’éblouissent de leur jeunesse, est encore empreint d’une grâce délicate. Plus loin, quand Isabelle déclare au jeune baron qu’elle l’aime, dans le trouble où la jettent les périls qu’il vient de courir pour elle, la scène est aussi très jolie, bien que la jeune femme par le comme une héroïne de nos jours et ne garde pas le l’on de l’époque. La mort du pauvre Matamore nous toucherait, si l’auteur ne l’ensevelissait dans un effet de neige qui lui fait tort. Le roman se dérobe donc toujours sous une couche de peinture, ou tombe dans quelque inadvertance choquante.

En dehors du monde picaresque où l’auteur nous promène, que voyons-nous de cette société du XVIIe siècle, si complexe à l’origine ? Le marquis de Bruyères représente assez bien le type du gentilhomme de province, semi-citadin, semi-campagnard, et plus riche que raffiné ; sa femme est un échantillon de cette classe de nobles dames qui, du temps de La Bruyère encore, se donnaient aux acteurs ou aux baladins, lorsqu’ils avaient de la réputation et une belle prestance ; mais le duc de Vallombreuse prend des allures trop modernes et trop sataniques, il doit avoir lu Byron par avance et s’être inspiré de Lara et de Manfred pour apostropher ainsi Isabelle : « Vous ne savez donc pas, pauvre enfant, ce que c’est que Vallombreuse… Jamais désir inassouvi n’est resté dans son âme ; il marche à ce qu’il veut sans que rien le puisse fléchir ou détourner : larmes ni supplications, ni cris ni cadavres jetés en travers, ni ruines fumantes ; l’écroulement de l’univers ne l’étonnerait pas, et sur les débris du monde il accomplirait son caprice… » Ce n’est point assez du bretteur Jacques Lampourde et de quelques tireurs de laine ou originaux du Pont-Neuf croqués au passage pour figurer une si curieuse époque. Le brigand basque Agostin et la petite Chiquita, cette enfant sauvage et quasi folle, ne sont pas plus de ce temps-là que d’un autre. Chiquita parle une manière de jargon romantique, et semblerait plutôt échappée d’une ballade allemande que prise dans la réalité et nourrie