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encore la patricienne. C’est Catulle qui le dit dans une épigramme où il compare Lesbie à une beauté célèbre de ce temps :


« Quintia est belle pour beaucoup de gens. Moi, je la trouve grande, blanche, droite : voilà ses qualités, je les reconnais toutes. Mais que leur réunion forme la beauté, je le nie. Elle n’a rien de gracieux, et dans tout ce vaste corps il n’y a pas une miette d’esprit et d’agrément. C’est Lesbie qui est belle, plus belle que toutes, et elle a si bien pris la grâce pour elle qu’il n’en reste plus pour les autres. »


Une femme comme Clodia, qui avait un goût si décidé pour les gens d’esprit, devait se plaire à fréquenter la société au milieu de laquelle vivait Catulle. On voit bien, à ce qu’il nous en raconte, qu’il n’y en avait pas à Rome qui fût plus spirituelle et plus agréable. Elle réunissait des écrivains et des hommes politiques, des poètes et des grands seigneurs, différens de situation et de fortune, mais tous amis des lettres et du plaisir. C’était Cornificius, Quintilius Varus, Helvius Cinna, dont les vers avaient alors beaucoup de renommée, Asinius Pollion, qui n’était encore qu’un enfant de grande espérance ; c’était surtout Licinius Calvus, à la fois homme d’état et poète, l’une des figures les plus curieuses de ce temps, qui, à vingt et un ans, avait attaqué Vatinius avec tant de talent et de vigueur, que Vatinius épouvanté s’était tourné vers ses juges en leur disant : « Si mon ennemi est un grand orateur, il ne s’ensuit pas que je sois coupable ! » Il faut placer dans ce même groupe Cælius, qui par son esprit et ses goûts était bien digne d’en être, et au-dessus Cicéron, protecteur de toute cette jeunesse intelligente, fière de son génie et de sa gloire, et qui saluait en lui, selon l’expression de Catulle, le plus éloquent des fils de Romulus.

Dans ces réunions de gens d’esprit, dont beaucoup étaient des personnages politiques, la politique n’était pas exclue : on y était très républicain, et c’est de là que sont sorties les plus violentes épigrammes contre César. On sait de quel ton sont écrites celles de Catulle ; Calvus en avait composé d’autres, que nous avons perdues, et qui étaient, dit-on, bien plus cruelles. La littérature, on le comprend, y tenait autant de place au moins que la politique. On ne manquait pas de se moquer à l’occasion des méchans écrivains, et l’on brûlait même solennellement, pour faire un exemple, les poèmes de Volusius. Quelquefois, à la fin des repas, quand le vin et le rire échauffaient les têtes, on se faisait des défis poétiques : les tablettes passaient de main en main, et chacun y écrivait les vers les plus malins qu’il pouvait trouver ; mais ce qui les occupait encore plus que tout le reste, c’était le plaisir. Tous ces poètes et ces politiques étaient jeunes et amoureux, et quelque agrément qu’ils aient pu