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aux premiers grades ; mais chaque promotion nouvelle était alors le prix de longues et pénibles études, tandis que les chefs civils arrivaient d’emblée aux degrés supérieurs de l’initiation. Tous les membres participaient d’ailleurs plus ou moins aux privilèges de la société, et ces privilèges étaient immenses. Sans être, à proprement parler, ni prêtres ni nobles, les aréoïs jouissaient des avantages assurés à ces deux classes. Comme les prêtres, ils étaient inviolables, leur personne était sacrée, car ils étaient les représentans des dieux, et à ce titre ils disposaient du tabou ; comme les plus nobles chefs, ils étaient accueillis et obéis, en quelque lieu qu’ils fussent amenés par le devoir ou le caprice.

Au premier abord, cette société semble n’avoir eu d’autre but que les plaisirs sensuels et la satisfaction de passions brutales poussées jusqu’aux plus effroyables aberrations. La prostitution, la promiscuité la plus absolue en étaient une des premières lois ; l’infanticide y était une obligation. Tout enfant d’aréoï devait être mis à mort immédiatement après sa naissance. Le père, la mère qui sauvaient le fruit toujours douteux de leur union étaient impitoyablement chassés de l’association comme des profanes. Cette terrible loi n’admettait qu’une seule exception en faveur du fils aîné des chefs.

Il est bien difficile de croire qu’une société reposant sur de pareilles bases ait pu conserver quelque chose de sérieux et d’élevé. Toutefois, en y regardant de plus près, on croit trouver ici un nouvel exemple de la perversion qui, dans la pratique, peut atteindre des idées originairement justes et pures. Les chefs de l’association, les grands aréoïs, étaient toujours des personnages graves et réservés ; ils ne se mêlaient jamais aux représentations licencieuses, aux danses obscènes des inférieurs. À côté des comparses dégradés qui donnaient à l’ensemble sa physionomie la plus apparente, se trouvaient des poètes, des bardes, qui se transmettaient avec une religieuse fidélité de longues légendes racontant l’origine des choses, les mystères religieux et l’histoire des temps passés. Couronnés de fleurs, accompagnés de leurs inférieurs, qui d’île en île portaient l’allégresse, ces hommes-archives allaient partout rappeler aux membres épars de la famille polynésienne leur origine commune, le passé de la race, et conservaient le dépôt de connaissances dont l’irrécusable valeur devait être reconnue plus tard.

Un culte sérieux, profond, réservé aux initiés, se cachait en outre sous ces dehors attrayans ou révoltans : ce culte était celui de la puissance créatrice manifestée dans les phénomènes sensibles. C’est là un point de départ dangereux, et il n’est pas bien surprenant qu’à Tahiti comme dans l’Inde, en Syrie, à Babylone, il ait conduit à d’étranges excès. Les cérémonies rappelaient ce fonds de croyances. La légende d’Oro, le Dieu-Soleil, y jouait un grand rôle, et réglait