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Dans les campagnes de Buénos-Ayres, les jaguars font quelquefois de grands ravages, et il leur est arrivé maintes fois, au dire des gens du pays, de croquer un Indien. Leurs attaques ont surtout lieu pendant la nuit dans les campemens des voyageurs. Si les caravanes manquent, ils vont se placer en embuscade dans les bois de pêchers, très communs dans ces contrées, et y guettent les rongeurs qui se nourrissent de leurs fruits. Comme l’Indien, le jaguar ne se plaît que dans les immenses solitudes des forêts vierges. Chaque jour il recule devant la hache du colon qui envahit de plus en plus ses retraites ; aussi commence-t-il à devenir rare dans les environs des cités populeuses de l’Atlantique et des grandes fazendas de la côte. Quelques têtes de bétail enlevées la nuit dans les pastos (pacages) à de longs intervalles indiquent aux colons une onça de passage plutôt qu’un voisin dangereux, et personne n’y fait grande attention ; aussi le véritable chasseur de tigres dans l’Amérique du Sud est-il le gaucho de la banda orientale et des provinces de la Plata. Il va à la rencontre de son terrible adversaire avec son cheval et ses bolas, et le lace comme il ferait d’un cerf ou d’un bœuf sauvage. Cette chasse, qui paraîtrait si périlleuse à nos Européens, est chose si simple pour un gaucho qu’il vous donne une magnifique peau de tigre pour 40 francs. La robe du jaguar rappelle assez celle de la panthère d’Afrique. Les dimensions des deux espèces sont aussi à peu près les mêmes. Du reste les variétés de la race féline ne manquent pas dans cet immense continent. Outre le couguar et l’once noire, qui semblent plus spécialement confinés dans certaines régions, on trouve à chaque pas des chats sauvages, dont le nombre s’explique aisément par la multitude de rongeurs qu’alimentent les arbres de la forêt.

Le cachorro do moto (chien des bois), qu’on rencontre aussi quelquefois, est une espèce de renard plutôt qu’un chien sauvage. Ces deux animaux, le gato do mato (chat des bois) et le cachorro causent beaucoup de ravages dans les fermes ; le nom du premier surtout revient souvent dans les plaintes des colons. Toutes les volailles et tous les jeunes animaux domestiques qui disparaissent de la plantation sont invariablement censés devenir la pâture du gato do mato. C’est en effet un voisin très dangereux pour les basses-cours et difficile à apprivoiser. Un jeune chat, que l’on venait de prendre dans la forêt et qu’on m’avait apporté, préféra se laisser mourir de faim plutôt que de toucher à la moindre nourriture. Je n’avais cependant rien négligé de ce qui pouvait flatter ses goûts, car je lui avais donné jusqu’à de petits animaux vivans. Il vécut près d’une semaine, ne cessant de miauler nuit et jour et cherchant à mordre tout ce qui approchait de sa cage. Il faut ajouter que le