Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tomba tout d’un coup, et ce même homme que Cicéron nous montrait tout à l’heure dédaignant son rival et prédisant sa défaite, il nous le fait voir, à quelques jours de distance, épouvanté et fuyant jusqu’au fond de l’Apulie sans oser s’arrêter ou tenir ferme nulle part. Nous avons la lettre que Pompée écrivit alors aux consuls et à Domitius, qui essayait au moins de résister dans Corfinium : « Sachez, leur dit-il, que je suis dans une grande inquiétude (scitote me esse in summâ sollicitudine). » Quel contraste avec les paroles insolentes de tout à l’heure ! Voilà bien le style d’un homme qui se réveillant en sursaut d’espérances exagérées, passe brusquement d’un excès à l’autre. Il n’avait rien préparé, parce qu’il était trop assuré du succès, il n’ose rien entreprendre parce qu’il est trop certain de la défaite. Il n’a plus de confiance ni d’espoir en personne ; toute résistance lui paraît inutile ; il ne compte même plus sur le réveil de l’esprit patriotique, et il ne lui vient point à la pensée de faire un appel suprême à la jeunesse républicaine des municipes italiens. À chaque pas que César fait en avant, il recule davantage. Brindes même, avec ses fortes murailles, ne le rassure pas ; il songe à quitter l’Italie et ne se croit en sûreté que s’il parvient à mettre la mer entre César et lui.

Cælius n’avait pas attendu si tard pour se déclarer. Avant même que la lutte ne fût engagée, il lui avait été facile de voir de quel côté était la force et où serait la victoire. Il avait alors fait hardiment volte-face, et s’était mis au premier rang parmi les amis de César. Il se déclara en soutenant avec sa vigueur ordinaire la proposition de M. Calidius, qui demandait qu’on renvoyât Pompée dans sa province d’Espagne. Quand l’espoir d’une solution pacifique fut tout à fait perdu, il quitta Rome avec ses amis Curion et Dolabella, et vint trouver César à Ravenne. Il le suivit dans sa marche triomphale à travers l’Italie ; il le vit pardonner à Domitius, qui s’était fait prendre dans Corfinium, poursuivre Pompée et l’enfermer étroitement dans Brindes. C’est dans l’enivrement de ces succès rapides qu’il écrivait à Cicéron : « Avez-vous jamais vu d’homme plus sot que votre Pompée qui nous jette dans de si grands troubles et y tient une conduite si puérile ? Au contraire avez-vous rien lu, rien entendu qui surpasse l’ardeur de César dans l’action et sa modération dans la victoire ? Que pensez-vous donc de nos soldats, qui, au plus fort de l’hiver, malgré les difficultés d’un pays sauvage et glacé, ont fini la guerre en se promenant ? »

Une fois qu’il se fut engagé lui-même, Cælius n’eut plus d’autre pensée que d’entraîner avec lui Cicéron. Il savait qu’il ne pouvait rien faire qui fût plus agréable à César. Tout victorieux qu’il était, César, qui ne se faisait pas d’illusion sur ceux qui le servaient, sentait bien qu’il lui manquait quelques honnêtes gens pour donner à