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des jésuites, et en subissant leur présence dans son diocèse, même quelquefois leur joug, il se révolte le plus souvent qu’il peut ; il démêle leur action occulte et il la déjoue ; en les ménageant, il leur échappe. L’abbé Julio au contraire, lui plaît pour sa jeunesse, pour son caractère, justement pour ces idées hardies dont on veut lui faire un crime ; il aime cette sève vivifiante, cette foi candide qui ne craint pas la nouveauté, et il s’attache si bien à ce jeune homme, qu’en mourant bientôt d’une attaque d’apoplexie il le choisit comme le dépositaire de ses dernières pensées ; il lui lègue la délicate et embarrassante mission de publier après lui le testament de ses croyances religieuses, qui n’est rien moins qu’une profession de foi du catholicisme le plus libéral et une rétractation de sa vie épiscopale. Voilà la mémoire du bon archevêque fort compromise. Il ne restera plus qu’à faire passer ce bizarre testament pour le rêve d’un malade, d’un vieillard tombé dans l’enfance, ou pour l’infernale invention, d’un jeune écervelé déshonorant la pourpre romaine par l’audace d’une fiction impie.

Tant que le vieux cardinal est plein de vie et étend sur son diocèse une autorité indulgente, Julio n’a rien à craindre ; il est protégé contre les dénonciations, contre les aigres antipathies de la chanoinesse de Flamarens, excitée par le vicaire-général Gaguel ; contre l’hostilité des pères de la rue de l’Inquisition, — car c’est là que les jésuites demeurent, — contre le murmure vague et menaçant qu’on fait habilement arriver jusqu’à l’archevêché ; il est soutenu dans ses premiers essais de prédication, dont l’orthodoxie court au-dessus des précipices ; sans y tomber, et qui remuent la ville de T. Mieux, encore ; les adorateurs du pouvoir et du succès, — et il y en a dans le clergé comme partout, — fêtent le jeune et éloquent secrétaire du cardinal. Un soir de sermon, une petite manifestation s’organise pour demander à la vieille éminence de lui donner le camail de chanoine ; mais le cardinal meurt : alors tout change, l’animosité, un moment contenue, se redresse et reprend son œuvre. Le nouvel archevêque, Pierre-François-Paul Le Cricq, est d’une autre trempe que Mgr de Flamarens ; c’est un homme d’administration et de méthode, sec, dur, quoique avisé, ferme sur les traditions, gouvernant son diocèse comme il gouvernait le couvent dont il a été le directeur, n’aimant pas trop les jésuites non plus, mais les redoutant et les flattant, les ménageant assez pour être soutenu par eux à Rome sans déplaire à Paris. Il vient de Luçon, et il n’est pas encore arrivé à T. qu’il est déjà fixé sur Julio ; il a reçu son portrait tracé de main de maître : « homme dangereux, imagination ardente, orgueilleux, infatué de lui-même,… traitant sans respect la parole de Dieu, profanant la chaire par de coupables nouveautés, — lisant