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dis-je, ce qu’est le jeune prêtre pour comprendre ce qu’il peut avoir à souffrir dans cette vie nouvelle un peu médiocre, et où l’ignorance n’est pas malheureusement toujours absente. La souffrance ne lui vient pas de l’humilité de son rôle, de la blessure d’une ambition trompée. Au moment de partir pour Saint-Aventin, il a reçu le conseil de refuser cette cure ; il a accepté au contraire avec une grande simplicité. Il n’a pas l’orgueil de se trouver déplacé dans un humble village, auprès d’une nature puissante, au milieu de populations dont il est bientôt aimé. Il se met résolument à l’œuvre. Il ne prêche pas à ces pauvres gens une religion surchargée de citations, d’anathèmes ou de visions mystiques ; il leur parle comme à des enfans qu’il faut instruire et qui sont infestés de crédulités grossières, il leur tient un langage simple, droit, et il se plaît à les former à la vie morale. Le temps qui n’est pas employé au devoir du prêtre, il le consacre à l’étude des sciences naturelles. Le bâton ferré à la main, il va dans la montagne herboriser, explorer la flore pyrénéenne, l’une des plus riches du monde, et le soir venu il classe, il étiquette ses trouvailles. Il serait complètement heureux, s’il avait auprès de lui sa sœur Louise, qui est encore retenue auprès de sa tante, la douairière de La Clavière.

Julio a un défaut, je le crains, pour un personnage d’imagination : c’est Jocelyn dans les Pyrénées au lieu d’être dans les Alpes, un Jocelyn moins poétique, plus en guerre avec les pouvoirs de ce monde, plus trempé dans la réalité et les tracas vulgaires, ayant au fond la même nature, les mêmes goûts, presque le même langage ;

Du maître en peu de mots j’explique la parole :
Le peuple du sillon aime la parabole,
Poème évangélique où chaque vérité
Se fait image et chair par la simplicité.
Lorsque j’ai célébré le pieux sacrifice,
J’enseigne les enfans, je me fais leur nourrice ;
Je donne goutte à goutte à leurs lèvres le lait
D’une instruction simple et tendre, et qui leur plaît.

Ce chapitre du presbytère dans la montagne n’est pas sans charme. Dans cette vie de la solitude, Julio se rassérène et sent s’affermir en lui un christianisme tout d’esprit, de sève intérieure, dépouillé des formes matérielles et des routines vulgaires.

D’où viennent donc la souffrance et le secret froissement pour lui ? Ils viennent de cette disproportion entre sa nature et le monde, dont il n’est pas assez séparé pour échapper à ses atteintes, de ce choc permanent entre ses instincts et cette réalité de la vie ecclésiastique qui ne lui pèse nullement par ses devoirs, mais qui a pour