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lui toute sorte d’aiguillons. S’il va avec les autres prêtres à la conférence ecclésiastique, il se sent l’objet d’une curiosité indiscrète ou d’une défiance mal dissimulée. Il a le sort de celui qui a été signalé, recommandé, qui est en pénitence. Pour quelques-uns, c’est une victime des jalousies d’en haut ; pour d’autres qui ont l’esprit simple, qui sont accoutumés à ne point discuter, c’est un ’suspect interné à Saint-Aventin. M. le doyen ne laisse pas échapper les occasions de lui faire sentir sa position de subordonné, d’homme signalé pour les dangereuses tendances de son imagination. Si son archevêque, Mgr Le Cricq, pousse ses visites pastorales à Saint-Aventin, il le reçoit simplement, sans faste, dans son église, au milieu des enfans qu’il instruit, et le prélat sera choqué de cette simplicité dans laquelle il verra une affectation, une marque de mauvais esprit, et il passera sans accepter même le modeste repas du presbytère. Que, par respect du premier des mystères de la foi catholique, il refuse à une dévote de village la communion quotidienne, il ne sera plus un prêtre pour la vieille irritée, et il sera exposé aux basses délations pieusement colportées. Qu’il épargne un scandale à l’église en sauvant du déshonneur une jeune fille et un jeune prêtre qui fuient ensemble, en les séparant et en gardant religieusement un secret qui n’est pas le sien, il sera pour ce fait l’objet d’une humiliante enquête.

Un jour enfin, on lui envoie pour prêcher une mission un brave capucin qui arrive tout chargé de médailles, de chapelets et de petits livres, et le moine bouleverse tout simplement l’esprit d’une population paisible par ses prédications saugrenues. C’est un type curieux d’ailleurs que ce père Basile, épais et vulgaire, qui mange bien, boit mieux et se macère la nuit, qui a le plus grand mépris pour toute science et n’a pour lui qu’une foi instinctive et mal raisonnée qu’il prêche d’une voix retentissante en ornant ses sermons de toute sorte d’histoires bizarres et d’images matérielles. Quand il débarque sa forte corpulence à Luchon, ce bon père Basile, il est tout étonné de ne pas trouver le curé de Saint-Aventin l’attendant avec respect à la voiture. « Que voulez-vous, mon révérend père, lui dit le doyen de Luchon, c’est le fruit des idées modernes. — Vous avez raison, monsieur le doyen, de notre temps on avait plus de respect pour les vieillards. — Où allons-nous, mon révérend père ? — Le monde est bien malade. — Heureusement, mon révérend père, les ordres religieux se répandent comme une bénédiction, ils sauveront la France. — Malheureuse France ! »

Une fois à Saint-Aventin, il faut lui rendre cette justice, le père Basile met le feu partout. Il ne guérit aucun des véritables vices de ce peuple, mais il exalte les imaginations faibles. On est au temps