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du miracle de Lourdes, et Saint-Aventin a aussi ses visionnaires, ses extatiques ; la mission a son miracle, sa jeune fille qui a vu saint Joseph, si bien que, froissé dans son intelligence et dans la droiture de sa foi, Julio finit par dire au père Basile : « Mon révérend père, je respecte vos intentions, vous êtes venu dans la pensée de faire le bien, il m’est pénible de vous dire que vous n’avez fait que le mal. » Et dans le fond de son cœur Julio se dit à lui-même : « Qui relèvera l’église ? qui sèmera sur ses ossemens le germe énergique de la vie religieuse, sans laquelle les religions ne sont plus qu’une routine extérieure ? Qui prendra la foi, cette divine immortelle, en chargera ses épaules au milieu du désordre général, et l’emportera intacte et pure au sein d’un monde nouveau où recommencera sa royauté impérissable ? » — C’est le tort de Julio, dira-t-on, de parler ainsi, d’avoir de ces tourmens d’esprit, de tout censurer. Le vrai prêtre est plus soumis d’intelligence et de cœur ; il rame sur la barque de Pierre sans s’inquiéter et sans se révolter, tandis que le pilote, qui seul a la lumière infaillible, conduit la barque à travers la tempête. — Le fait est que Julio ne prend pas le moyen d’être tranquille et que le père Basile part de Saint-Aventin avec le récit de son miracle et une dénonciation à joindre au dossier déjà trop chargé du jeune curé.

S’il n’y avait encore que ces froissemens obscurs et ces luttes intimes de la vie ecclésiastique, ce ne serait rien. Le vrai duel est ailleurs, et le champ de bataille est la fortune de la douairière de La Clavière, convoitée et disputée depuis si longtemps. Pendant qu’à Saint-Aventin l’abbé Julio est occupé à défaire l’œuvre du père Basile, c’est-à-dire à tranquilliser un peu sa paroisse, la vieille tante de La Clavière meurt, la succession est ouverte : la fortune tout entière est aux jésuites. Ils ne dépouillent pas la famille, oh non ! ils ont ménagé ses intérêts ; il y a dans le testament pour Julio et pour sa sœur une rente viagère de mille francs qui leur sera « honorablement servie. » Cela ne suffit-il pas à Louise pour aller vivre paisible dans une maison religieuse ? — Ils ne jettent pas à la rue la vieille servante Madelette, qui les a si bien servis auprès de Mme de La Clavière ; oh non ! ils l’ont fait mettre aussi sur le testament, qui lui assure « le pain pour ses vieux jours » dans son village de Valcabrère. Les bons pères sont d’ailleurs bien en règle avec la loi ; ils n’héritent pas, eux, puisque la législation impie qui nous régit ne le permet pas, ils ont un fidéicommissaire solide, un certain Tournichon, qui a fait bonne garde autour de l’agonie de la vieille douairière, et ce bon M. Tournichon y met vraiment des formes, « O monsieur l’abbé, dit-il à Julio quand celui-ci arrive dans la maison de famille, auprès du cadavre de sa