Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/681

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se tint pour certaine qu’il n’y avait là ni habitude, ni parti-pris. M. Hardie s’estimait trop haut pour se ravaler à ce point. Ce trait de son caractère, elle l’avait déjà noté, bien qu’elle le connût à peine. Un examen assidu lui démontra du reste qu’il ne savait pas au juste où était la chambre qu’elle habitait. C’était devant la maison tout entière qu’il demeurait en extase comme devant un lieu sacré. — Que c’est donc ridicule à lui ! .. Et cependant il semblait rayonner de bonheur. Sur son visage, que la lune éclairait en plein, se lisait une exaltation passionnée. Elle y voyait pour la première fois resplendir l’âme du jeune enthousiaste, elle étudiait sa physionomie comme on étudie une inscription difficile à comprendre ; elle déchiffrait lettre par lettre chacun des ravissemens qui venaient s’y peindre, et sa mémoire les thésaurisait avec un soin jaloux.

« A deux reprises différentes, elle quitta son embuscade pour se mettre au lit. Deux fois la curiosité, peut-être aussi quelque autre sentiment la ramena vers la croisée. Enfin, après avoir fait le guet, épié, regardé furtivement jusqu’à ce que ses pieds fussent transis de froid, tout au rebours de sa tête, elle crut devoir se déclarer à elle-même qu’elle avait assez de ce jeu fatigant. — Bonne nuit à l’ingénieux policeman ! disait-elle, toujours s’imaginant qu’elle criait de manière à être entendue. Et vous, pluie du ciel, tombez aussi dru que vous pourrez !… Ce fut avec cette bienveillante apostrophe, un peu trop rude néanmoins pour que nous la jugions tout à fait sincère, qu’elle posa vaillamment sur l’oreiller sa tête brûlante.

« Mais, une fois hors de vue, le factionnaire n’en avait que mieux le don de porter le trouble dans ses pensées. Elle se demandait, les yeux toujours ouverts, s’il était encore là,… ce que dirait maman d’une telle conduite,… lequel, d’elle ou de lui, était vraiment responsable d’une énormité dont les annales du monde, à son avis, n’avaient jamais enregistré la pareille ; mais surtout, surtout elle se demandait ce qu’il pourrait oser de plus, et alors son pouls s’accélérait, le sommeil fuyait loin d’elle, si bien qu’elle descendit le lendemain matin un peu plus pâle que de coutume. Cette pâleur frappa aussitôt l’œil maternel, et mistress Dodd trouva là un prétexte à moraliser. — Étrange chose, disait-elle, que la jeunesse aime tant le plaisir, lorsque le plaisir convient si rarement à la jeunesse !… Cette agitation d’hier m’a fait du bien, et pourtant elle n’est pas de mon âge. Pour vous, au contraire, elle s’est trouvée excessive ; je m’en aperçois de reste. Il me tarde de vous voir rentrer dans notre paisible intérieur.

« Oui-da ; mais cet intérieur sera-t-il désormais aussi paisible ? »


Sous les mêmes rians auspices naîtra bientôt une passion du même ordre. Edward Dodd s’éprend de la sœur d’Alfred, à qui plaisent, quoi qu’en dise miss Jane, cette petite sainte méthodiste, le caractère énergique, la volonté absolue du condisciple de son frère. Edward toutefois est trop sensé, trop pratique, Jane est trop rigoriste, trop puritaine, pour que leur mutuel amour donne lieu à des scènes comme celles que nous venons de voir passer sous nos yeux ; à peine cet amour nous est-il révélé çà et là par quelque parole