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fois, est de préparer à son profit, dans les meilleures conditions possibles, la banqueroute qui doit frustrer ses malheureux créanciers. Ses manœuvres souterraines, si habilement menées qu’elles soient, n’ont pas échappé à l’un des plus anciens commis de sa maison. Seulement cet homme, Noah Skinner, corrompu graduellement par l’exemple de son patron, ne songe qu’à se faire sa part dans le naufrage commun. Richard Hardie a vainement voulu éloigner ce contrôleur importun de sa comptabilité en partie double. Skinner lui a fait comprendre en termes suffisamment explicites qu’une pareille séparation est désormais impossible. Avec moins de confiance dans l’étoile et l’habileté supérieure de son patron, il serait tenté de le trahir et de le vendre. Retenu par l’admiration que lui ont inspirée les savantes combinaisons du banqueroutier futur, il préfère exploiter largement une situation critique, et se faire payer cher sa fidélité à une infortune qu’il envisage comme passagère. Ils en étaient là, débattant les conditions de cette complicité forcée, lorsque l’honnête capitaine Dodd pénètre dans l’atelier de leurs fraudes ténébreuses, et sans plus de façons ni de précautions dépose entre les mains du banquier stupéfait ce fameux portefeuille tant de fois compromis. N’avions-nous pas raison de dire que jamais il n’avait couru autant de risques ?

Nanti du reçu qu’il s’est fait délivrer, le brave marin ne tarde pas à rencontrer, — avant même d’être rentré chez lui, — un client de sa famille qui lui a dû jadis les services les plus essentiels. Cet homme, instruit de ce qui vient de se passer, ne peut retenir un cri de surprise, et, pressé de questions, révèle à son ancien protecteur la situation périlleuse de Hardie ; elle lui est connue par une lettre arrivée de l’étranger, lettre intime dont il a gardé le contenu pour lui seul. La consternation, la colère de Dodd se peuvent aisément concevoir. Il rentre chez le banquier et tombe soudainement au milieu des deux misérables déjà occupés à combiner le parti qu’ils peuvent tirer d’un si merveilleux hasard. Skinner inclinerait à relever, au moyen des quatorze mille livres, le crédit de la maison. Hardie, plus clairvoyant et plus rigoureux dans ses calculs, ne veut pas que cette somme, incapable de combler l’abîme, aille encore s’y engloutir. Il se demande comment il pourrait l’appliquer aux nécessités de sa situation personnelle. L’amour d’Alfred, cet amour qu’il voulait naguère étouffer, lui paraît maintenant une bonne fortune providentielle. Il avise, il combine, il cherche, et son plan de campagne est presque arrêté lorsqu’il voit se dresser devant lui le malheureux dont la confiance étourdie vient de lui fournir un si beau coup de filet. Dodd est complètement hors de lui, et les efforts qu’il fait d’abord pour se contenir, les émotions qu’il comprime,