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leur poursuite ; mais une fois au bord de la mer, David Dodd, obéissant à l’unique notion qui survive en lui, saisit la première occasion de se dérober à son compagnon de fuite et de s’embarquer à bord d’un vaisseau de l’état, où certaines circonstances favorables le font accueillir sans trop d’examen. D’autres circonstances donnent à croire qu’il a pris passage sur un bâtiment de commerce parti quelques heures auparavant, et mettent en défaut le limier de police qui l’avait traqué jusque-là. Ce manque de flair profite naturellement au fiancé de Julia, qui reprend la route de Londres, où il entend revendiquer à la fois les droits de son amour et ceux de sa raison méconnue.

De ces deux procès, le premier est gagné d’avance. Dès qu’Alfred a reparu, dès que son absence est expliquée, il doit trouver grâce aux yeux de Julia. Reste, il est vrai, le scrupule étrange de mistress Dodd et de son fils, qui, renonçant avec peine à leurs préventions, enferment le pauvre amoureux dans ce dilemme bizarre : « ou vous êtes fou, ce qui semble établi par la présomption légale, et dans ce cas le mariage est impossible, ou vous possédez toutes vos facultés, ce qu’il faudra faire admettre par les tribunaux, et nous vous regardons alors comme responsable du sort de l’homme que vous avez entraîné dans votre fuite. Tout ce qui peut lui arriver de fâcheux retombe sur votre tête, et s’il meurt, vous êtes son assassin. » Ce raisonnement captieux retarde et compromet le bonheur des deux amans, et on peut croire un instant qu’il le ruinera tout à fait, car le capitaine Dodd, toujours enclin à risquer sa vie pour sauver celle des autres, ne manque pas de se noyer bel et bien. On le tient pour mort, et les prières des agonisans ont déjà été récitées sur lui, quand une crise inespérée le rend à l’existence et dissipe en même temps les ténèbres mentales dans lesquelles il était plongé. Cependant les gens de loi sont à l’œuvre. Après avoir vainement essayé de ressaisir sa proie, et rejeté sur la défensive par une suite de procédures bien menées, Richard Hardie n’en disputera pas moins le terrain pied à pied, usant de toutes les ressources dilatoires que la législation anglaise fournit aux plaideurs de mauvaise foi. Il ne conteste plus, ce qui serait impossible, la complète « guérison » de son fils, mais il maintient obstinément l’utilité des mesures par lesquelles cette guérison a été obtenue. Ce qui lui importe avant tout dans cet ordre d’idées, c’est, on le conçoit, de faire admettre que les accusations portées contre lui par son fils Alfred sont absolument chimériques, et résultèrent jadis d’une exaltation cérébrale bien caractérisée. Il nie hardiment, et d’abord avec un certain succès, l’existence des quatorze mille livres sterling qu’on l’accuse d’avoir détournées. Aucun témoignage direct et aucune preuve positive ne peuvent à cet égard