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née de ces agitations qui la font vivre, multiplia sous toutes les formes possibles les renseignemens dont le public était avide, et du mouvement que nous indiquons sortit bien évidemment le roman de M. Reade, qui en aura été le résultat littéraire le plus notable.

Cette œuvre porte certainement le cachet de son origine fiévreuse. M. Reade l’a conçue et probablement écrite en grande partie sous l’influence de cette préoccupation populaire, de ce déchaînement de rancunes philanthropiques auxquels nous venons de faire allusion. Faut-il maintenant lui reprocher l’amertume de ses invectives, la rigueur de ses déductions, le sombre plaisir qu’il semble prendre à élargir, à faire saigner la plaie sur laquelle il veut appeler l’attention des chirurgiens ? Ce serait notre droit et peut-être notre devoir, si, au lieu d’une simple fiction, nous avions devant nous, émanant d’une plume autorisée, soit une œuvre didactique, soit une polémique administrative ou parlementaire. Nous demanderions alors à l’écrivain s’il méconnaît, s’il entend nier les progrès obtenus depuis que les quakers d’York prirent en 1793 l’initiative de la réforme dont il se fait aujourd’hui l’avocat ; nous lui rappellerions les travaux du fameux committee de 1815, — dans les reports duquel il semble parfois avoir puisé à pleines mains sans trop se soucier de l’anachronisme, — et les innombrables remaniemens qui ont amené au point où elle en est aujourd’hui la législation relative aux asiles d’aliénés. Sans contester les abus que l’énergique bon vouloir de huit ou dix parlemens n’a pu déraciner encore, nous l’inviterions à comparer le régime des mad-houses tel qu’il est aujourd’hui avec ce qu’il était il y a trente ans, comparaison qu’il a pu faire comme nous et qui devait suffire à elle seule pour le mettre en garde contre l’inspiration hostile qui lui a dicté un si violent anathème. Il doit savoir en outre que dans tous les ordres d’idées et de faits les progrès sont solidaires l’un de l’autre, et que le législateur échoue infailliblement lorsqu’un zèle excessif, une opinion trop haute de sa puissance lui font devancer l’heure où les prescriptions trouveront dans les esprits plus éclairés un assentiment général, et dans l’état des mœurs, épurées de jour en jour, une sanction définitive et décisive.

Ces objections et bien d’autres nous seraient permises, et nous nous sentirions même autorisé, par le ton provoquant de l’ouvrage de M. Reade, à les présenter sous une forme moins ménagée que nous ne venons de le faire ; mais ce serait là, selon nous, encourir le même reproche que nous adressons à l’auteur de hard Cash. Ne vaut-il pas mieux reconnaître, comme nous l’avons déjà fait, ce droit à l’outrance que nous sommes tenté de regarder comme l’apanage