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deux cents sénateurs dans l’appartement et cent vingt licteurs à la porte.

En général, la fidélité des gens qu’on achète ne dure pas beaucoup plus longtemps que l’argent qu’on leur a donné ; or, en leurs mains, l’argent ne dure guère, et le jour où l’on se lasse de fournir à leurs prodigalités, il faut commencer à se méfier d’eux. Il y avait de plus ici, pour tous ces amis politiques de César, une raison particulière qui devait faire d’eux, un jour ou l’autre, des mécontens. Ils avaient grandi au milieu des orages de la république ; ils s’étaient jetés de bonne heure dans cette vie active et bruyante, et ils en avaient pris le goût. Personne n’avait usé et abusé plus qu’eux de la liberté de la parole ; ils lui devaient leur influence, leur pouvoir, leur renommée. Par une étrange inconséquence, ces hommes qui travaillaient de toutes leurs forces à établir un gouvernement absolu étaient ceux qui pouvaient le moins se passer des luttes de la place publique, de l’agitation des affaires, des émotions de la tribune, c’est-à-dire de ce qui n’existe que dans les gouvernemens libres. Il n’y avait personne à qui le pouvoir despotique dût paraître bientôt plus lourd qu’à ceux qui n’avaient pu supporter même le joug léger et équitable de la loi. Aussi ne tardèrent-ils pas à s’apercevoir de la faute qu’ils avaient commise. Ils comprirent qu’en aidant un maître à confisquer la liberté des autres, ils avaient livré la leur. En même temps il leur était bien facile de voir que le nouveau régime qu’ils avaient établi de leurs mains ne pouvait pas leur rendre ce que l’ancien leur aurait donné. Qu’était-ce en effet que ces dignités et ces honneurs dont on prétendait les payer, quand un seul homme possédait la réalité du pouvoir ? Il y avait sans doute encore des préteurs et des consuls ; mais quelle comparaison pouvait-on faire entre ces magistrats dépendans d’un homme, soumis à ses caprices, dominés par son autorité, obscurcis et comme effacés par sa gloire, et ceux de l’ancienne république ? De là devaient naître inévitablement des mécomptes, des regrets, et souvent aussi des trahisons. Voilà comment ces alliés que César avait recrutés dans les divers partis politiques, après lui avoir été fort utiles, ont tous fini par lui causer de grands embarras. Aucun de ces esprits remuans et indociles, indisciplinés de nature et d’habitude, n’a consenti volontiers à subir une discipline, et ne s’est résigné de bon cœur à obéir. Dès qu’ils n’étaient plus sous les yeux du maître et contenus par sa main puissante, les anciens instincts reprenaient chez eux le dessus ; ils redevenaient à la première occasion les séditieux d’autrefois, et dans cette ville pacifiée par le pouvoir absolu, à chaque absence de César les troubles recommençaient. C’est ainsi que Cælius, Dolabella, Antoine, ont compromis la