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dire, et par conséquent le sentiment que nos pères les Aryas avaient d’eux-mêmes. La racine ar exprime originairement l’action de s’élever, comme le latin oriri, et le substantif qui en dérive désigne le maître, le seigneur, celui à qui l’honneur est dû. C’est aussi l’homme de bonne race, de sang pur, par opposition à des castes ou à des populations inférieures. On voit que notre race a eu de bonne heure une haute idée d’elle-même. Son nom primitif dénote déjà l’esprit chevaleresque, aristocratique, dont nos légendes nationales et nos épopées mythiques portent l’empreinte à un degré si remarquable. Le barbare (ce mot est sanscrit et veut dire le bredouilleur) est dès l’origine l’objet du dédain, comme un être incapable de parler la langue de la race supérieure[1].

Ce qui est significatif, c’est que les noms particuliers d’autres branches, bien que très différens, concordent avec cette haute idée que nos pères avaient d’eux-mêmes. Ainsi les Goths du temps de l’empire romain semblent identiques aux Gètes, connus antérieurement, et ces deux noms veulent dire « gens de naissance, » ou « d’excellence. » Les Daces, ancêtres des Danois, sont les « brillans, les glorieux. » Le nom des Slaves, bien que dérivé d’une tout autre racine, exprime aussi l’idée de gloire, de renommée. Le nom mystérieux de Iavan, que la Bible donne aux Grecs, qui se retrouve dans les Iafones, plus tard Iaones ou Ioniens, s’éclaire d’une manière inattendue quand on sait qu’il se rattache aux noms sanscrits et zends qui signifient jeunes ou plutôt défenseurs de la famille ou du pays, car, Varron l’a fort bien dit, juvenis, jeune, vient de juvare, et désigne celui qui est arrivé à l’âge où il peut protéger et défendre. Un tel nom aura parfaitement convenu à la fraction qui, placée à la frontière, était spécialement appelée à la défendre contre les incursions des hordes hostiles. Cette branche, en se détachant du tronc commun, a conservé ce nom comme un titre d’honneur.

Il faut observer que les inductions que l’on peut tirer des noms donnés par les peuples aryens aux saisons nous confirment dans la supposition que le peuple aryen primitif a vécu sous une latitude tempérée. Dans l’Aryane, les saisons étaient bien distinctes, l’hiver particulièrement rude, car c’est la saison dont le nom concorde le plus dans toutes les branches de la famille. Ces détails se rapporteraient

  1. Cette signification du mot arya a été contestée à tort par M. Max Müller, qui préférerait voir dans ce mot le sens d’agriculteur (de la racine ar prise dans le sens de labourer, comme dans le latin arare), comme si nos ancêtres se fussent distingués primordialement à titre de peuple sédentaire et agricole des hordes nomades dont ils étaient environnés. Cela est d’autant moins admissible que précisément les deux branches hindoue et iranienne, à qui nous devons la conservation et la signification ethnique de ce mot, étaient adonnées encore presque exclusivement à la vie pastorale quand elles émigrèrent vers les contrées où elles s’établirent définitivement.