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en un culte de la nature divinisée, rien ne prouve qu’elle ait eu au début le même caractère, et il croit même trouver dans les noms donnés à la divinité l’indice d’un certain monothéisme, peu rigoureux sans doute, pourtant réel, qui aurait préexisté aux polythéismes historiques.

Certes, si nous avions devant nous des faits positifs attestant que telle a été la marche de l’esprit humain, il faudrait bien se rendre et admettre, contre toute vraisemblance a priori, que l’homme, encore plongé dans la plus profonde ignorance, a mieux saisi la vérité religieuse qu’à l’époque où il commençait à réfléchir et à savoir ; mais ces faits existent-ils ? Et tant qu’on ne peut en alléguer qui aient une valeur démonstrative, ne doit-on pas persister dans l’hypothèse, que tant d’analogies confirment, d’une élévation graduelle de la religion, comme de toutes les autres sphères où se meut l’esprit humain, des rudimens les plus naïfs aux conceptions les plus sublimes ? Il ne faut pas faire intervenir ici la Bible. Quand l’histoire biblique réelle commence, c’est-à-dire au plus tôt avec Abraham, il y a déjà des polythéismes épanouis sur la terre entière, et dans les réminiscences mythiques des temps qui précèdent l’apparition du père des croyans, pas un mot ne nous renseigne sur la formation du polythéisme. On dirait plutôt que le pluriel du nom sémitique de Dieu, devenu majestaticus (exprimant l’excellence), les généalogies des patriarches antédiluviens, le rôle attribué aux fils de Dieu dans un fameux passage de la Genèse, etc., sont la preuve du fond polythéiste duquel a surgi, à un moment mystérieux du développement des races humaines, ce premier monothéisme qui devait donner sa vraie religion à l’humanité. Quand d’autre part on pense à ce qu’il y a de naïf, d’enfantin dans le naturalisme védique, encore si rapproché du berceau commun, comment s’imaginer qu’on est en face de quelque chose de secondaire, d’une dégénérescence religieuse ?

Les faits philologiques allégués par M. Pictet à l’appui de sa thèse ont-ils l’importance qu’il leur attribue ? J’en doute fort. Le plus ancien nom de Dieu dans les langues aryennes est le mot déva. On le retrouvé en sanscrit, en zend (où il prend le sens de démon ou dieu méchant), en grec, en latin, en irlandais, en kymri, en lithuanien. Là-dessus M. Pictet se livré à une discussion philologique tendant à montrer que ce mot signifie proprement, non pas « le lumineux, » comme on l’a dit, mais « le céleste. » — « Cela implique bien, dit-il, la notion d’un Dieu placé au-dessus du monde. » Malheureusement, si le mot déva veut dire céleste, le mot div, dont il vient et qui signifie le ciel, veut dire en langue aryenne le lumineux, cela de l’aveu de M. Pictet lui-même, et par conséquent je