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Après avoir vécu deux siècles sous le régime de la prohibition la plus sévère, et éloignés, qui plus est, du grand courant des idées européennes, nos colons naturellement n’accueillirent d’abord qu’avec réserve les réformes proposées, et la lumière se fit chez eux plus tard qu’en France. Cependant, lorsqu’ils en vinrent à réclamer le bénéfice de ces réformes, ils rencontrèrent une opposition obstinée chez les principaux organes du commerce métropolitain, qui renonçait difficilement aux avantages d’une exploitation séculaire, et qui croyait voir un gage de succès dans l’éloignement du théâtre où se produisaient les réclamations. C’est cette situation de la société des Antilles en présence du commerce français qu’il est opportun d’étudier, en la comparant surtout avec le régime antérieur. On en dégagera ainsi des enseignemens qui montrent l’avenir de nos îles sous un jour plus rassurant que ne le voient les créoles eux-mêmes. Il est vrai qu’ils sont payés pour être pessimistes.

Il est peu de personnes qui ne sachent ce qu’on entendait par le fameux pacte colonial dont les prescriptions ont si longtemps été la loi suprême de nos possessions d’outre-mer, et qui avait posé l’interdiction absolue du commerce étranger comme la clef de voûte de tout le système. Il érigeait en principe, et cela de la façon la plus solennelle, ainsi qu’on le voit clairement dans les instructions données par le roi Louis XV au comte d’Ennery, envoyé en 1765 comme gouverneur à la Martinique, « que les colonies sont établies pour l’utilité de leurs métropoles, et qu’elles en doivent consommer les produits. » Du principe posé découlaient les trois conséquences suivantes : la première, que les colonies, bien loin d’être assimilables aux provinces de France, en diffèrent autant que le moyen diffère de la fin, et qu’elles ne sont absolument que des établissemens de commerce ; la seconde, et ceci est moins sujet à contestation, qu’une colonie est d’autant plus avantageuse que ses produits diffèrent davantage de ceux de la métropole. La troisième et dernière conséquence de cette belle théorie est, on le devine aisément, la prohibition la plus absolue de tout commerce étranger par cette triomphante raison, que « si dans le royaume le commerce n’est encouragé qu’en faveur de la culture, dans les colonies au contraire la culture n’est encouragée et établie qu’en faveur du commerce. » L’exploitation, on le voit, était fort peu déguisée malgré l’apparat scientifique des formules ; mais ces doctrines étaient alors celles de toutes les nations maritimes, et nos colons ne s’en seraient pas plaints sans l’infidélité avec laquelle la métropole tenait ses engagemens à leur égard. L’histoire des Antilles françaises au XVIIe siècle n’est pleine que de ces récriminations, des désordres et des séditions qu’elles entraînaient, et cela depuis la première association des