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trouvèrent tout naturel de trier leur poisson et d’en envoyer le meilleur choix à New-York ou à Boston, assurés qu’ils étaient par leur monopole de placer le second choix ou le rebut aux Antilles. En d’autres termes, nous payions une prime pour faire manger à nos colons de la morue chère et mauvaise, en même temps que pour en servir à bon marché d’excellente aux Américains, tant il est vrai qu’en économie politique les erreurs s’enchaînent en quelque sorte fatalement dès qu’on sort du droit chemin.

C’était en 1851 que les ports de mer avaient remporté sur les colonies cette victoire mémorable, car le pacte colonial avait ce caractère essentiel qu’il constituait le planteur et l’armateur en état d’hostilité permanente ! Nouvelle victoire en 1860 : la loi des primes est prorogée pour dix ans, et le rapporteur annonce pompeusement à la chambre que les exportations de morue aux États-Unis se sont élevées en 1859 à près de 4 millions de kilogrammes. Il apprécie toutefois la situation difficile dans laquelle se trouvent nos colonies, situation dont le remède évident était d’ouvrir ces îles à la morue étrangère ; mais, et nous empruntons ici les termes mêmes du rapport, la commission n’a pu « voir sans inquiétude les produits des pêches françaises et le pavillon français livrés sans aucune protection à la concurrence anglaise ou américaine. » Le droit différentiel fut donc abaissé, mais maintenu ; le triomphe du privilège était complet. Il faut rendre cette justice à nos législateurs qu’en donnant à ces doctrines une nouvelle consécration si peu en harmonie avec les idées du jour, ils étaient guidés moins par l’intérêt d’une industrie particulière que par des motifs d’un intérêt national et public. Ce qu’ils avaient en vue, c’était notre puissance navale, et ce qu’ils voulaient avant tout, c’était favoriser une école de marins dans laquelle l’état pût trouver de plus abondantes ressources pour l’armement de ses flottes de guerre. Si l’argument n’est pas neuf, en revanche il n’a jamais manqué son effet : il faut donc le réduire à sa juste valeur.

Les primes accordées à la pêche de la morue se composent d’abord d’une somme de 20 francs par quintal exporté, puis d’une autre somme de 50 francs par homme employé. Cette seconde prime est acquise à l’armateur, non-seulement pour tout marin régulièrement porté en France sur les contrôles de l’inscription maritime, mais aussi pour une deuxième catégorie d’engagés, dits inscrits provisoires, qui forment, à proprement parler, la précieuse pépinière de matelots sur laquelle il est d’usage d’insister si complaisamment. Le métier de la mer étant de ceux que l’on n’embrasse plus après un certain âge, ces inscrits provisoires doivent avoir moins de vingt-deux ans, et ne sont inscrits définitivement qu’après trois campagnes.