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l’industrie sucrière et de lui faire absorber tout ce que nos planteurs pouvaient réunir de capital et de travail. Il est probable qu’il en sera autrement désormais, et que, par suite du développement varié qu’il est dans la nature de la liberté de produire, l’on verra reparaître les cultures auxiliaires, ces belles caféières par exemple, semblables à des jardins ombreux, et ces quinconces de cacaos, alignés comme les massifs d’un parc de Le Nôtre. Je pourrais citer près de la Basse-Terre une caféière de 20 hectares qui, avec vingt-cinq travailleurs, donne un revenu annuel de 20,000 francs net. La. Guadeloupe n’a-t-elle pas d’ailleurs produit autrefois jusqu’à 600,000 quintaux de café par an ? Que dire encore de ces cacaotières où l’hectare peut rapporter 1,000 écus, et dont le père Labat, l’oracle de nos vieux colons, disait qu’elles se pouvaient comparer à une riche mine d’or, tandis qu’une sucrerie n’était qu’une mine de fer ? Il n’en faut pas douter, ces diverses cultures redeviendront importantes et prospères à mesure que le sucre, accompagnement obligé de leurs produits, entrera de plus en plus dans l’alimentation des masses, auxquelles il était jadis à peine accessible. Toutes ces industries sont connexes, et si l’Angleterre, en réduisant des trois quarts le droit sur le café, en a presque décuplé la consommation, il n’est que raisonnable de compter sur un résultat analogue en France.

On sait quelle étrange situation la mise en pratique obstinée du pacte colonial avait créée à nos Antilles à la veille de la loi de 1861, et quelle était l’urgente nécessité de cette mesure réparatrice. On les a vues, après avoir été amenées à ne produire que du sucre, ne plus pouvoir se défaire de ce sucre, grâce à la protection réclamée par le pavillon national, puis manquer, toujours pour le même motif, des denrées les plus nécessaires, et supporter en un mot toutes les charges d’un contrat dont une injustice flagrante leur déniait les bénéfices. Quelles perspectives de prospérité l’avenir ouvre-t-il à ces îles maintenant que la liberté leur est enfin rendue ? Quelle direction prendra ce commerce, ainsi livré à lui-même après avoir été si longtemps emprisonné entre les barrières artificielles de la protection ? La réponse ne saurait être douteuse : c’est vers les États-Unis que le voisinage et les facilités de la navigation établiront nécessairement le principal courant d’affaires de nos deux îles. Aussi n’est-il pas inutile de rappeler ici quelle a été dans la mer des Antilles l’attitude habituelle des Américains, et quelle sera encore leur règle de conduite le jour où, la fin de la guerre civile leur ayant rendu leur pleine liberté d’action, ils pourront reprendre les véritables traditions de leur politique étrangère.