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REVUE. — CHRONIQUE.

de l’opposition ni les nouveau-venus. Ce voisinage redoutable a eu au contraire pour ceux-ci la vertu d’une impulsion entraînante. Il n’y a pas eu seulement émulation, il y a eu pour ainsi dire contagion de talent. Jamais par exemple M. Jules Favre, avec la mâle vigueur de sa pensée, avec son sentiment élevé du droit, avec ce mélange de force et de chaleur intime que recouvre l’inaltérable élégance de sa parole, n’a mieux marqué sa place au premier rang des orateurs politiques que depuis qu’il a parlé à côté de M. Thiers et de M. Berryer. L’opposition n’a donc pas seulement reçu du retour de faveur de l’opinion publique l’accroissement du nombre ; elle a payé sa dette au public par d’admirables efforts de talent. Et quelle association plus puissante au début d’un mouvement politique que celle qui s’établit ainsi entre le talent qui s’élève au-dessus de lui-même et l’opinion, entraînée, elle aussi, et comme soulevée par la sympathie et l’admiration !

L’importance soudainement acquise au sein de la chambre par les représentans des idées libérales ne leur a point exclusivement profité. Nous avons déjà constaté avec franchise que l’importance de la majorité s’était accrue dans la même proportion. La valeur des hommes de mérite que la candidature officielle a fait entrer à la chambre a été mise en relief ; les opinions de ces hommes ont déjà et auront dans l’avenir plus de poids dans les conseils du gouvernement. Désormais l’opposition, le gouvernement et le public compteront davantage avec eux. Une place plus large leur est naturellement ouverte dans la direction des affaires publiques. Par une conséquence nécessaire, la chambre entière voit grandir le rôle qu’elle est appelée à jouer dans le mécanisme de nos institutions. L’objet poursuivi par le décret du 24 novembre 1860 et par le sénatus-consulte de 1861 était d’associer plus étroitement la responsabilité de l’assemblée représentative à la responsabilité du souverain, en d’autres termes d’accroître l’influence de l’assemblée sur le gouvernement : on est aujourd’hui entré pleinement dans la voie qui conduit à ce résultat. Grâce à cette première réalisation effective des pensées réformatrices, de 1860 et 1861 à laquelle nous venons d’assister, la chambre entière et chacun de ses membres grandissent à la fois vis-à-vis du gouvernement et vis-à-vis du pays. La France et le gouvernement gagnent, eux aussi, à cette élévation du niveau politique. Le bénéfice pour la France est incontestable ; nous en lisions récemment l’aveu dans un journal étranger dont les jugemens sur nous sont ordinairement trop sévères. « C’est une chose surprenante, disait le Saturday Review à propos des débats du corps législatif, de voir à quel point les choses françaises, lorsque la France y met réellement en jeu la force et la vie de l’esprit français, surpassent en intérêt tout ce qui se fait de semblable dans les autres pays. L’éloquence française est de l’ordre le plus élevé, et s’adresse au monde en une langue comprise par tous les hommes éclairés. Tous les éloges qui peuvent être décernés à une éloquence simple de style et haute de ton, qui va droit au fait avec une habileté consommée, qui unit l’adresse de l’éloquence du barreau à l’éner-