Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/843

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle y soutenait, depuis la mort d’Auguste II en 1733, un intérêt de famille, et demandait que la Suède envoyât un corps auxiliaire au secours de Stanislas, beau-père de Louis XV. Le ministre de France à Stockholm proclamait que sa cour était décidée à rétablir l’ancien système du Nord en relevant la Suède pour l’opposer à la Russie. Une partie intégrante de ce système avait toujours été la coopération de la Suède avec la Pologne et les Turcs, afin d’obtenir des diversions constantes. Cependant il y avait dans la diète et la nation même des oppositions et des scrupules contre la guerre. Gyllenborg entreprit de les étouffer sous le fracas des acclamations qu’il saurait faire naître. Il appela à lui tout ce qui se vantait d’être jeune, brillant, instruit, et qui voulait passer, ne fût-ce que par vanité, pour ami de la France et ennemi des Russes. Il eut en grand nombre les officiers et les femmes. L’agitation commença dans les cercles voisins de la cour : une dame d’honneur de la reine ayant porté un toast en faveur de la guerre, une autre dame d’honneur répondit par un toast contraire. « Ces deux santés, dit un contemporain, se répandirent dans toute la capitale. Il n’y eut presque pas une maison bourgeoise où elles ne mirent la désunion et ne partagèrent les familles. L’esprit de faction passait des classes moyennes aux soldats et au peuple. On buvait et on se disputait partout. Il n’y eut pas jusqu’aux garçons de boutique et aux crocheteurs qui n’en vinrent aux mains pour la France ou pour la Russie. » Bientôt chacun des deux partis accepta une désignation spéciale et un signe de ralliement. Suivant le même témoin, « les femmes qui avaient porté leurs maris à abandonner leurs sentimens pacifiques, ou celles qui s’étaient rangées du côté de la jeunesse malgré les sentimens de leurs maris, furent régalées par quelques jeunes héros de rubans plies ou même de tabatières et d’étuis travaillés en forme de chapeau. » Le chapeau était en effet la coiffure française, adoptée par le parti français ou de la guerre, tandis que la coiffure commune du peuple suédois était une sorte de bonnet, comme en Russie[1]. Le parti de la guerre ne tarda pas à l’emporter, car l’esprit belliqueux s’était emparé de la nation tout entière : on eût dit que l’ombre

  1. On a diversement expliqué ces dénominations de chapeaux et bonnets, dont l’origine est peu certaine. On a dit que, le comte Arvid Horn ayant le droit de rester tête couverte en présence de la reine Ulrique-Éléonore, ses partisans, fiers de son crédit et de ses prérogatives, s’étaient donné eux-mêmes le nom de chapeaux. Suivant une autre explication, le roi Frédéric Ier avait, dans un accès de mauvaise humeur, qualifié de bonnets de nuit les faibles représentans de la vieille noblesse, si peu habiles à sauvegarder ses droits. Leurs antagonistes avaient appliqué cette désignation à tout le parti de la cour et adopté une désignation contraire pour eux-mêmes. Ou bien encore ces deux mots chapeaux et bonnets auraient désigné deux classes différentes de la société suédoise, comme si l’on disait chez nous habits et blouses.