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l’île Barrow, mais qui, n’y trouvant pas de quoi se nourrir, l’avaient abandonnée pour chercher un nouveau refuge, et ils étaient arrivés ainsi à Byam-Martin. — Cet exemple est complet ; il réalise toutes les circonstances qu’indiquait la théorie, jusqu’à l’abandon d’un premier lieu de refuge momentanément habité ; il constate l’existence de rapports habituels entre des îles placées à de fort grandes distances les unes des autres ; il montre donc chez les Polynésiens des habitudes entièrement semblables à celles des Carolins, habitudes résultant d’une grande pratique de la mer et de beaucoup de hardiesse. Enfin le double trajet accompli par Touwari et ses compagnons de Maïtéa à l’île Barrow est de plus de 1,000 kilomètres et dans une direction précisément inverse de celle des vents alizés.

Empruntons encore un exemple à l’histoire de ces naufrages si instructifs. En 1816, Kotzebue trouva aux îles Radak un indigène d’Ouléa, une des Carolines. Parti pour la pêche, dans une pirogue à voile, avec trois de ses compatriotes, Kadou avait été surpris par une tempête qui changea pendant quelques Jours la direction habituelle des vents alizés. Lorsque ceux-ci recommencèrent à souffler, au retour du beau temps, nos Carolins, se croyant à l’ouest de leur île, se dirigèrent en louvoyant vers le nord-est. En réalité, ils laissaient derrière eux le point qu’ils voulaient atteindre. Ils n’en marchèrent pas moins dans la direction qu’ils croyaient être la bonne, et après un temps très considérable, pendant lequel ils faillirent tous périr de faim, ils abordèrent au petit groupe d’Aur. Cette fois le trajet était de 2,700 kilomètres au moins[1] ; mais ce qui rend ce voyage plus remarquable encore, c’est que les Carolins l’avaient accompli au nombre de quatre, montés sur une pirogue de pêche, et en marchant contre ces vents de nord-est qu’on a prétendu devoir opposer d’invincibles obstacles aux migrations venant de l’ouest. On ne saurait imaginer de démenti plus complet donné par les faits aux assertions que nous combattons.

Mais, diront peut-être nos contradicteurs, si ces migrations volontaires ou involontaires ont été quelque peu fréquentes, s’il a existé d’île à île des communications plus ou moins régulières, ces migrations, ces communications, doivent avoir laissé des traces dans les souvenirs des indigènes, et ils doivent posséder sur la géographie de la Mer du Sud des notions au moins élémentaires. En est-il bien ainsi ? Ici encore les exemples abondent. À l’époque des premiers voyages, presque tous les navigateurs européens ont pu constater que les Polynésiens connaissaient d’autres terres que celle qu’ils habitaient, et souvent c’est aux indications données par les

  1. Évaluation de Kotzebue lui-même.