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indigènes qu’ils ont dû leurs découvertes. Ainsi, dès 1606, Quiros, arrivé à Talimako, aujourd’hui les îles Duff, y recueillit des renseignemens précis sur plusieurs autres points de la Polynésie, entre autres sur Ticopia et sur l’île ou terre de Saint-Esprit, une des plus grandes des Nouvelles-Hébrides. C’est grâce à ces renseignemens qu’il parvint à cette dernière, distante de plus de 500 kilomètres.

Je pourrais citer bien d’autres faits de même nature ; mais, sans multiplier ces détails, je me bornerai à dire quelques mots du document géographique le plus important, comme attestant l’étendue des connaissances géographiques chez les Polynésiens. Je veux parler de la carte générale recueillie à Tahiti par Cook à son premier voyage[1]. Cette carte fut dessinée par Tupaïa, ancien ministre de la reine Obéréa, et elle nous a été conservée par Forster[2]. Or elle comprend tous les principaux groupes de la Polynésie, à l’exception de la Nouvelle-Zélande et des Sandwich. En revanche, on y trouve les îles Fiji, qui n’appartiennent pas à la Polynésie proprement dite, et sont pour ainsi dire intermédiaires entre celle-ci et la Mélanaisie. Sans doute on reconnaît que cette carte n’a pas été dressée par un de nos ingénieurs hydrographes. Toutefois les distances et les rapports y sont indiqués de manière qu’on puisse déterminer non-seulement les groupes, mais le plus souvent les îles elles-mêmes. Une courte description, écrite sous la dictée de Tupaïa, accompagne le nom de chaque île ou de chaque groupe, et achève de nous donner une idée des notions que possédaient au moins les Tahitiens instruits sur cette Océanie que les Européens commençaient à peine à connaître.

Que la carte de Tupaïa ait été un véritable spécimen des connaissances géographiques des Polynésiens, c’est là un fait dont il n’est pas permis de douter. Plus de la moitié des îles ou des archipels qui y figurent étaient inconnus à Cook et à ses compagnons. Les Européens n’auraient donc pu fournir des indications aussi étendues. Bien plus, celles qu’ils donnèrent sur les îles qu’ils venaient de découvrir ne servirent qu’à introduire de graves erreurs, ou plutôt une confusion regrettable, dans l’œuvre du chef indigène. La connaissance imparfaite qu’ils avaient de la langue leur fit prendre le nord pour le sud, et dans la gravure donnée par Forster la carte est en entier renversée. En outre, partant de cette idée fausse sur la position des points cardinaux, ils indiquèrent à Tupaïa, pour les îles qu’ils avaient découvertes dans les Marquises et l’archipel Pomotou, des corrections que le Tahitien, convaincu de la supério-

  1. 1769-1771.
  2. Observations faites pendant un voyage autour du monde.