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mais présente aussi ses particularités propres. Ici on observe partout les mêmes coutumes ; le langage est uniforme, et ce langage, dit M. Halie, est tel qu’on ne peut douter que les Hawaiiens[1] ne descendent directement ou indirectement des Tahitiens. Bien que M. Hale se prononce pour la seconde alternative et que sa carte montre la flèche d’émigration se portant des Marquises aux Sandwich, il me semble qu’on peut encore conserver des doutes. La tradition, très formelle sur ce point, dit que le premier homme et la première femme, amenant avec eux un cochon, un chien et une paire de poules, arrivèrent dans une pirogue venant de Tahiti, qu’ils abordèrent sur la côte orientale d’Hawaii et s’y établirent[2]. D’autres traditions nous montrent tantôt des dieux, c’est-à-dire des chefs déifiés, tantôt de simples mortels faisant le voyage de Tahiti. Un prêtre, Kama-pii-Kaï, aurait accompli trois fois la traversée aller et retour, mais ne serait pas revenu après le quatrième voyage. D’autre part, les Hawaiiens avaient connaissance des îles Marquises, car les mêmes traditions parlent de divers voyages à Noukahiva et à Futuhiva. Il serait donc très possible que malgré leur éloignement, ces îles eussent reçu des colons des deux archipels dont elles avaient conservé les noms dans les légendes[3]. Quant au nom d’Hawaii imposé à l’île principale, il est évident que c’est un souvenir donné par les premiers colons à la patrie originaire commune, mais dont le temps et l’éloignement avaient fait oublier la signification.

Les traditions hawaiiennes mentionnent une autre circonstance qui ne me semble pas avoir attiré suffisamment l’attention ; elles rapportent que les premiers colons venant de Tahiti trouvèrent l’île occupée en partie par des dieux et des esprits avec lesquels ils s’arrangèrent à l’amiable[4]. Il est bien difficile de ne pas voir là le souvenir légendaire d’une population qui les avait précédés. On est

  1. Habitans des îles Sandwich ou Hawaii.
  2. Dumont-d’Urville, Voyage pittoresque autour du monde.
  3. Ces souvenirs étaient bien près de s’effacer quand les Européens ont découvert les Sandwich, et les anciens rapports dont il est ici question n’étaient plus connus que par tradition. Le nom même de Tahiti avait pris une signification générale et signifiait loin, un pays étranger et lointain. Un de nos compatriotes qui a parcouru toutes les contrées dont il s’agit, M. C. Henricy, avait déjà fait cette remarque dès 1845 (Océanie). Il en avait conclu, comme M. Hale l’a fait depuis, que Tahiti avait été le point de départ des populations hawaiiennes. Au reste, ce qui achève de démontrer qu’il n’y a pas dans ces identités des noms une simple coïncidence, c’est qu’on retrouve aux Sandwich, appliqués à deux localités, les noms de deux autres lies de l’archipel de Samoa, ceux des îles Oupolou et Léfouka.
  4. Dumont-d’Urville. — Ces dieux, ces esprits vivaient, paraît-il, uniquement dans les grottes et les rochers. C’était donc un peuple très sauvage, que la tradition a singulièrement grandi. Un fait analogue se rencontre chez les Aryas de l’Inde, qui ont transformé en démons et en magiciens les populations drawidiennes contre lesquelles leurs premières colonies eurent à lutter.